130 ans de cinéma
Le dernier film en date de Godard, palme d'or spéciale à Cannes, est sans doute l'apogée de son cinéma, voire même l'apogée du cinéma. Il aura fallu quelque chose comme 130 ans pour arriver à ça,...
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le 14 déc. 2018
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Godard, c'est comme les films Marvel: il y en a des tonnes, les couleurs sont bizarres, et si t'as pas vu les 40 précédents tu vas rien comprendre.
Des quelques films que j'en ait vu, je ne suis pas sensible à son cinéma -que je trouve verbeux, hermétique, aride et quelque peu gros sabots- ni à la Nouvelle Vague en général. D'abord parce que cette dernière n'a plus rien de nouveau depuis belle lurette, pis que ça: bien qu'elle ait eu la prétention de faire flancher le "cinéma de papa", on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'un film de Verneuil, ça a vache mieux vieilli que du Rivette ou du Rohmer. Dans les jeunes générations et les milieux contestataires, c'est Le Président qui revient dans les discussions, personne ne se rappelle des clips maoïstes des années 60/70 de Jean-Luc. Passons.
Or Jean-Luc casse sa pipe, et voila que les chaines programment logiquement quelques films du maître, dont le dernier en date, ce Livre d'Image. J'en profite parce que bon, ça a l'air bien barré tout de même. Eh ben j'ai pas été déçu. Bon, toujours pareil avec le bonhomme: zéro émotions, un vague sentiment d'incompréhension générale teinté de quelques sursauts humoristiques, et cette sensation d'assister à un exposé docte et beaucoup trop fouilli quoique iconoclaste.
Alors pourquoi 5/10 me direz vous? Eh bien je ne peux pas décemment mettre une note inférieure à un tel amas de culot à l'état pur, à un film aussi trollesque. Livrant à Cannes un magma de pellicule déstructuré au possible, Godard a hissé la Youtube Poop au rang des beaux-arts. Il pousse la phrase de Nietzsche, "ils troublent leurs eaux pour les rendre profondes", à son paroxysme, et ça, je trouve ça super drôle. Et le pire c'est qu'il est passé à Cannes. Et que ça lui a valu une palme d'or "spéciale". Et qu'il y est même pas allé en plus. Le tout alors que le Jean-Luc avait semé la pagaille à l'édition 1968. Il y en a qui ont été blacklisté du monde du cinoche pour moins que ça. L'auteur est roi. A 90 piges, Godard reste un énorme troll, comme il a trollé jadis la Cannon (producteurs de séries Z avec Chuck Norris entre autres...) pour se faire financer une adaptation barjot du Roi Lear.
Est-ce bien raisonnable de faire une critique d'un tel film? Je ne peux pas dire si c'est bien, pas bien, si c'est beau, pas beau. Godard est visiblement au dessus de ces basses considérations. Ce n'est même pas un film, mais un collage foncedé d'images, stock-shots, archives, actualités, textes, extraits d'autres films -parfois les siens. Le but de cette cathédrale visuelle foutraque est visiblement d'être une sorte de mega-compil du XXeme siècle. Oh, il y a bien quelques thématiques qui structurent l'ensemble: philosophant tel un Michel Onfray -grande gueule sur tout, expert en rien- Godard délivre ses gloses sur la vie, la guerre, le langage, le train, le monde arabe, l'impérialisme. Mais comme si le propos n'était pas suffisamment obscur, Godard azimute le tout en poussant à fond ses gimmicks bien rodés. La quasi-totalité du métrage est en négatif, ou alors tantôt surexposé, sous-exposé, pixellisé, décadré, flou, parasité, parfois la pellicule se bloque, repart en arrière, et parfois tout ça à la fois. Même destructuration au niveau sonore: Coupures incongrues incessantes, superpositions, tandis que Godard annône régulièrement des aphorismes, qu'ils soient de lui ou d'autres. Voix d'outre-tombe, cordes vocales de 90 ans d'âge, le propos est parfois poétique, parfois aussi abscons qu'un lycéen qui commence ses disserts par "de tous temps, les hommes...", mais parfois (souvent) on ne l'entend pas du tout, puisque sa voix est régulièrement couverte par d'autres voix et d'autres sons parasites, quand ce n'est pas Godard lui même qui est pris d'une quinte de toux.
Une interrogation demeure, au passage: Peut-on encore parler de cinéma expérimental quand on fait du négatif et du collage sonore en 2022? Vous avez 4h.
J'ai un peu le seum de me rendre comtpe que les juges du festival de Cannes aient été plus clairvoyants que moi pour juger de ce film et y déceler son génie. Moi je pensais qu'ils étaient plus doués pour se goberger devant les robes de Isabelle Huppert que pour analyser un plan, comme quoi, les à priori... A moins que ce ne soit parce que c'est Godard qui écrit les critiques de ses propres films et les envoie ensuite aux journalistes (oui oui, il l'a reconnu lui-même), ce qui expliquerait pourquoi la plupart de celles-ci ressemblent d'avantage à des dossiers de presse qu'à un travail de critique cherchant à donner un avis personnel sur sa perception du film en lui-même.
Le Livre d'Image est tel un culte à Mystères des religions antiques, c'est à dire aussi opaque que adulé par ses initiés. Perso je suis peu enclin à cette démarche quasiment astrologique, qui consiste à ce qu'on me balance une voute celeste à la gueule et hop, c'est à moi d'y raccorder les petits point et paf, ça fait un capricorne, et tant pis si mon voisin y voit un dragon, ou même rien du tout, car après tout, les constellations, ça n'existe pas.
Libre à Godard d'être un sale con hermétique, mais libre à nous spectateurs, dans ce cas, d'être de sales cons hermétiques aussi.
Créée
le 14 sept. 2022
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