M. Trelkovsky est un petit homme qui vit sa vie sur la pointe des pieds. Discret, gentil, serviable, il n'a qu'une hantise, celle de déranger autrui. Un type mal dans peau, inadapté et toujours en décalage. Pas du tout le genre à la ramener ou à frimer, comme ses collègues de bureau. D'une grande naïveté, il est celui qu'on met en boîte ou à qui on fait des blagues plus ou moins méchantes. En dehors de son sourire d'enfant un peu craintif qui redoute une remontrance, son visage affiche face aux coups du sort deux expressions en alternance : l'embarras et la stupeur.

Quand M. Trelkovsky arrive dans son nouvel appartement, il n'a qu'une aspiration : se fondre dans le décor et s'intégrer parmi les habitants de l'immeuble. Mais malgré tous ses efforts, l'intégration est difficile et Trelkovsky se sent de plus en plus mal à l'aise au sein de la communauté. Pire, il a l'impression grandissante qu'il est observé en permanence, voire épié, jusqu'à devenir persuadé qu'on cherche à le pousser au suicide, comme la locataire qui l'a précédé dans son appartement...


On loue souvent - à juste titre - l'atmosphère prodigieusement angoissante du film, mais je trouve qu'on ne parle pas assez de l'interprétation de Roman Polanski. Je le trouve fantastique de justesse dans le rôle de Trelkovsky. Il réussit brillamment à susciter une empathie très forte et immédiate pour ce petit homme timide et maladroit. Il est tellement attachant et crédible dans ce rôle que je ne vois pas qui aurait pu incarner ce personnage avec cette force. Il dégage une fragilité évidente, en utilisant à la perfection sa voix reconnaissable entre toutes et son physique étrangement juvénile. Si le film touche autant, c'est en grande partie grâce à son jeu d'acteur et sa présence unique.

Bien sûr, le film ne serait pas un tel chef-d'oeuvre sans la mise en scène de Roman, la photo crépusculaire de Sven Nykvist, les décors sinistres et claustrophobiques de Pierre Guffroy et la fascinante musique de Philippe Sarde. Sans elles, Roman n'aurait pas pu créer ce lent crescendo de malaise et de paranoïa.

J'ai vu le film un grand nombre de fois et je le trouve toujours aussi efficace en terme d'ambiance. Par ses gros plans grotesques des visages, le jeu inquiétant ou bizarre des acteurs, la musique minimaliste mais très marquante par ses instruments inhabituels (les verres), Polanski nous met vraiment dans la peau de Trelkovsky et nous fait ressentir l'hostilité qui l'oppresse. Le monde qui entoure son "héros" est fondamentalement mauvais, rempli de voyeurs, de corbeaux et de délateurs. Il est impitoyable avec les êtres doux et gentils. Les Simone Choule et Trelkovsky disparaissent ainsi les uns après les autres, sans que personne ne s'en préoccupe, par suicide ou par pétition (Mme Gaderian et sa fille).

Mais le plus admirable, c'est l'ambiguïté que maintient Polanski jusqu'au bout quant à la persécution dont Trelkovsky serait victime. Comme pour Rosemary, on ne saura jamais à quel point les voisins lui voulaient du mal. Comme dans "Répulsion", le lieu de vie du héros semble peu à peu contaminé par sa folie grandissante, les hallucinations viennent parasiter la réalité, comme ces hiéroglyphes qui couvrent les murs des toilettes communes ou ces fenêtres qui deviennent soudain des loges de théâtre ouvertes sur la cour.

J'aime comme Polanski fait lentement monter le curseur, rendant lentement le quotidien de Trelkovsky de plus en plus bizarre et menaçant, sans qu'on sache clairement où placer la frontière entre la dégradation mentale du héros et l'hostilité réelle des voisins à son égard. C'est fait avec beaucoup de subtilité et un sens aigu de l'étrangeté.

Polanski montre une nouvelle fois, après "Rosemary's Baby", son goût et son savoir-faire pour créer des images de cauchemar saisissantes, comme cette tête qui rebondit au ralenti devant la fenêtre de Trelkovsky ou sa chambre à l'angoissante perspective déformée sous l'effet de la fièvre.

Mairrresse
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le 28 oct. 2025

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