En quelques lignes :


Durant la guerre de Sécession, Johnnie Gray, conducteur de train n’ayant pas été enrôlé par les Confédérés, se lance seul à la poursuite d'espions nordistes ayant enlevé les deux amours de sa vie : sa locomotive et sa fiancée.


En un peu plus :


A l’époque où le monde était encore en noir et blanc et où les gens ne parlaient pas sans intertitre, les rieurs se divisaient entre celui dont le chapeau ressemblait à un melon et celui dont le chapeau ressemblait à un pâté à la viande de porc. L’un souriait, l’autre pas. L’un filmait essentiellement en studio, l’autre pas. L’un finit par s’installer à Corsier-sur-Vevey, vécut heureux et eut beaucoup d’enfants, l’autre pas. Tous deux étaient des génies.


En 1926, Clyde Bruckman présente à son collaborateur Buster Keaton le récit autobiographique d’un fait d’armes datant de la guerre de Sécession. En territoire ennemi, pendant la pause déjeuner, une vingtaine de soldats de l’Union volent une locomotive afin de couper les lignes de ravitaillement des Confédérés entre Atlanta et Chattanooga. Le conducteur du train et deux civils se lancent à leur poursuite tout d’abord à pied, puis en draisine à bras, et enfin en train. Le caractère burlesque de la situation et l’amour de Keaton pour la chose ferroviaire, d’ailleurs souvent mise à l’honneur dans son cinéma, conduisirent les deux hommes à réaliser The General, film dispendieux, accueilli froidement par la critique et le public, que Keaton considérerait toute sa vie comme son chef-d'œuvre.


Alors que le livre du caporal Pittenger racontait le raid d’Andrew avec la perspective nordiste et qu’il évoquait le procès, les exécutions et l’emprisonnement qui l’avaient suivi, il était important pour préserver le potentiel héroïco-comique de la situation d’adopter la perspective des poursuivants et de renverser le rapport de force du récit. Keaton estimait d’ailleurs que le film recevrait un meilleur accueil si les Sudistes n’y jouaient pas le rôle des méchants. Cette sympathie de l’enfant du Kansas pour le Sud n’est d’ailleurs pas tout à fait surprenante. Keaton considérait en effet The Birth of a Nation, pamphlet suprémaciste blanc, comme sa plus forte inspiration cinématographique.


Il faut d’ailleurs relever qu’à l’époque où de nombreuses voix reprochaient à Clyde et Keaton d’avoir réalisé une comédie sur la guerre de Sécession, seules quelques voix du Sud applaudissaient un film qui ne faisait honte à aucun parti et dont l’action avait, selon le Chattanoogan Daily Times, suscité « des ovations comparables à celles qui faisaient trembler la charpente lors des projections de The Birth of a Nation, dix ans auparavant ».


Cependant, la manière dont les deux œuvres réécrivent l’histoire est radicalement différente. Si le propos du film de Griffith est politique et a largement contribué à cristalliser les tensions raciales, Bruckman et Keaton évacuent purement et simplement la question de l’esclavage de leur film. La guerre civile en devient le décor plutôt que le sujet, de sorte que leur film s’articule autour de Johnny Gray, dont le patronyme renvoie tant à l’uniforme confédéré qu’à l’expression grave et maussade dont tous les personnages de Keaton sont empreints. Si l’on s’identifie à cet ingénieur malchanceux, mais droit et soucieux de bien faire, c’est pour son caractère profondément humain. Il aime son métier, il aime une femme, il aime sa ville et il se démène envers et contre tout pour les sauver. Là où The Birth of a Nation cherche à diviser par le drame, The General rassemble par le rire.


La postérité ne s’y est pas trompée, elle qui a fini par rendre raison à Keaton.


Et en quelques images :


La traditionnelle bande-annonce alternative.

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8

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le 4 juin 2021

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