"Et ma joie insupportable est assombrie par l'attente du réveil"

Pas loin d'être le dixième visionnage en autant d'années depuis sa découverte et toujours cette impression de sortir d'un rêve vaporeux dès que la Passion selon saint Jean de Bach s'achève.

Tarkovski a su capter ces moments suspendus constitutifs à la fois du façonnage de la pensée et de la restitution du souvenir. La mise en scène dépeint le caractère éphémère d'instants clés de la vie d'un homme (que l'on reconnaîtra comme étant l'auteur lui-même) au sein d'un dispositif global où on se sent perdu, sans repère temporel, et où pourtant tout semble naturel pour peu que l'on se laisse guider par la structure émotionnelle du récit et les poèmes d’Arseni Tarkovski, le père du réalisateur.

Plusieurs rôles sont occupés par les mêmes acteur.rice.s mais ce n'est pas grave, on l'accepte en signant un pacte avec le film puisque c'est ainsi que se fabriquent aussi les rêves.

On est happé par la lumière émanant de l'entrebâillement d'une porte, par la vapeur d'une tasse de thé, sa disparition et les traces de condensation laissées sur la table marquant le spectre de son existence. Tout ceci traduisant la cotonneuse irruption d'un souvenir éphémère et appartenant déjà au passé alors qu'il vient à peine de nous être transmis. Puis la résurgence d'une journée d'hiver marquant l'adolescence, le bruit des corbeaux au loin et la vision furtive d'un amour. Une viscéralité qui touche à l'intime universel malgré le trait autobiographique et les multiples inserts nous projetant dans la grande Histoire soviétique.

Le cinéma comme outil de retranscription sensorielle des rêves et du glissement de la pensée. Je n'ai pas connaissance d'un autre cinéaste l'ayant expérimenté avec autant de poésie que dans ce film.

Et pour terminer sur une appréciation d'une trivialité désarmante désolé mais comment ne pas parler de Margarita Terekhova, filmée comme la huitième merveille du monde, et qui accomplira en toute fin de film à mes yeux le plus beau regard caméra de l'histoire du cinéma dans une scène poignante invoquant la guerre et le déracinement qu'elle provoque.

Bref, tout a déjà été dit sur ce film et c'est pour cela que je m'arrêterai là. Cette parlote pleine de poncifs n'est qu'un prétexte pour vous inciter à lire Le Temps scellé qui est peut être un des meilleurs ouvrages écrit par un cinéaste pour décortiquer son propre travail et sa vision esthétique.

Allez, prends le ton 10, c'est à l'usure que tu te le seras octroyé.

Bouillabaise
10
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le 1 avr. 2025

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le 1 avr. 2025

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