Le Monde est à toi prend un malin plaisir à démythifier le thriller d’arnaque sur fond de banlieue et de drogue, ses personnages étant de viles caricatures tout à la fois amusantes, ridicules et campées par des acteurs talentueux. Sa galerie de freaks a de quoi divertir, mais elle joue aussi contre le film dans la mesure où elle pose la question du regard et de sa hauteur.
Romain Gavras capte son personnel dramatique du haut d’une tour, à l’instar de ce plan qui s’empare du corps en bikini de Lamya pour l’accompagner dans ses longueurs au beau milieu de la piscine déserte ; ce sont des personnages sans rédemption, unilatéraux et idiots, exception faite du protagoniste principal qui apparaît d’entrée de jeu comme le marginal de familles auxquels il se rattache sans y appartenir véritablement. Si bien que nous sommes en droit d’attendre, de la part du réalisateur, une intelligence de la mise en scène apte à conjurer l’imbécilité générale ; mais il n’en est rien. La réalisation se pourlèche du clinquant, frime en permanence par une esthétisation gratuite de ses coquilles vides, par ses ralentis et sa musique décalée. Il y a quelque chose de trop trafiqué, et la forme que prend le long métrage ressemble, par bien des aspects, aux projections mentales que les personnages pourraient avoir d’eux-mêmes et de leurs comportements – cette tendance est d’ailleurs explicite lors de courts clips fantasmés. Fasciné par la bêtise et l’inertie, le film les adopte sans le vouloir.
Gavras fils nous convie à un spectacle de freaks comme le faisait Barnum il y a deux siècles, sans jamais injecter dans sa peinture de grotesques un tant soit peu d’intelligence ou de cinéma. En résulte un divertissement certes entraînant, mais assez stérile, dont l’enthousiasme quasi unanime manifesté par la critique laisse sans voix.