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"Why do you think this case fascinates people ?"

Il faut avoir un certain talent pour faire un film sur un féminicide sans nous intéresser au sujet du féminicide. C'est pourtant ce que fait le film de Barbet  Schroeder Le Mystère de Von Bülow. Peu importe pour le spectateur finalement que Sunny Von Bulow ait été condamnée à une vie végétative par son mari ou non. L'intérêt est ailleurs. Et c'est justement ça qui m'a gêné pendant le visionnage du film. L'empathie ne va pas une seconde au personnage féminin, pourtant exemplairement joué par Glenn Glose. Nous sommes pris dans le tourbillon judiciaire, pénal, presque juridique, incarné par l'avocat et sa jeune équipe aussi amusante et charmante que professionnelle et efficace. Entre film de procès, thriller et drame familial, le film de 1990 nous éloigne paradoxalement du sujet même du film, celui de la tentative de meurtre d'une femme. 


Le véritable héros de cette histoire, tirée de faits réels, est l'accusé Claus. Ce qui n'est pas sans soulevé un problème éthique, si on prend la peine de mettre à distance son charisme paradoxal et l'esthétique parfaitement soigné du film. Il est tellement au centre que même Alan Dershowitz, l'avocat, ne peut s'empêcher de s'identifier à lui, comme à un point d'attraction auquel on ne peut échapper. Le Vanity Fair de l'époque évoquait d'ailleurs le charme irrésistible comme caractéristique principale du mari. L'interprétation majestueuse de Jeremy Irons, il faut le reconnaitre, sera même saluée d'un Oscar du meilleur acteur pour cette prestation, amenant à huit le nombre impressionnant des récompenses reçues pour son rôle. Oui c'est bien lui le personnage central du film. Identifiable dans les flashbacks à un mari patient, aimable, attentif. Ce qui pourtant ne va pas de soi, car il n'y a pas le moindre soin (au sens du care) dans son rapport à sa femme pathologiquement malheureuse et accro aux médicaments. De la servilité oui, un empressement même à lui fournir ses tranquillisants, mais pas d'amour ni de soin, ni de réelle empathie. Il parviendra tout à fait à cloisonner la dépression de sa femme de son quotidien, comme s'il n'était ni atteint, ni responsable, ni vraiment concerné. Au mieux son double jeu possible est signe de profondeur et admirable. Dans un renversement dont le film a le secret, ce n'est pas lui le méchant, c'est elle. N'est-elle pas un peu coupable de son coma, qu'il soit lié à une tentative de suicide ou de meurtre ? L'inversion classique de la culpabilité s'y trouve parfaitement illustrée. La caricature de la femme hystérique et coupable de tout ce qui lui arrive également.


On observe ainsi comment le personnage féminin est tout au long du film mis à distance affectivement, psychologiquement, narrativement. Le film met en scène des hommes et s'adresse définitivement aux hommes. L'avocat s'adressant à son collègue masculin - avec beaucoup plus de calme et de respect qu'à ces deux collègues femmes du rez-de-chaussée cinq minutes plus tôt : 

"Pourquoi crois-tu que cette affaire fascine tant ? Parce qu'on a tous un jour détesté notre femme au point de souhaiter en secret de faire exactement ce dont on accuse Claus. L'assassiner en douce sans que personne n'en sache rien (kill her in some slily secret way that cannot be detected). Claus est un bouc émissaire. Il paie pour un crime qu'on a tous envie de commettre." 

 La complaisance entre hommes est à son paroxysme et le contenu du propos terrifiant par sa violence et la banalisation et minimisation des accusations. Tous les hommes rêvent-ils de tuer leur femme avec préméditation et en faisant tout pour échapper à la justice ? Peu rassurant. Ironiquement, le "Not-all-men", ce "pas-tous-les-hommes" qu'on entend fréquemment dans le camp des déçus du féminisme (pour ne pas dire anti-féministes graincheux et réacs) s'en trouve considérablement mis à mal. Il s'agit bien de tous les hommes ici souhaitant faire ce que Claus aurait eu le courage de faire.

Une question alors aussi difficile que nécessaire est posée négativement par le film : Est-ce que toute la justice mise en scène ici n'est-elle pas finalement mise au service d'une volonté d'échapper justement à la justice ? Ne peut-on pas juger la vision de la justice qui s'en dégage ?  


Le féminicide c'est le nom donné au meurtre de femme en raison de son genre, le plus souvent les conjointes au moment où elles veulent quitter leur conjoint. La question du divorce n'est pas inexistante au moment des faits. Lui, ne semble souffrir à aucun moment. Ni de la situation, ni de son couple malheureux : son calme à faire le gentil serviteur comme si c'était normal, sa patience à mener sa vie comme si de rien, avant et après le coma, comme si son infidélité était normal, comme si l'envie de rester marié par confort avec une femme riche profondément malheureuse était normal, comme si son aspiration soudaine à travailler était par définition quelque chose de formidable - et non une espèce de fuite ou de tentative de se racheter un mérite, tentant, alors qu'il est déjà trop tard, de faire de lui autre chose qu'un parasite. Bref, cette tranquillité est dérangeante à plus d'un titre. Plus proche de la lâcheté et de la passivité (celle de l'attente de la mort d'une femme malheureuse dont il va hériter beaucoup d'argent) que du "mystère". Sunny Von Burow, et toutes les femmes sombrant dans l'alcoolisme, la solitude, la déception et la dépression par malheur dans leur couple méritent mieux.


Bien sûr qu'elle apparait comme toxique, mais aussi est surtout comme intoxiquée par son argent, par sa bourgeoisie, son oisiveté autant que par ses maris infidèles et son couple. Peu importe ici que cette grande bourgeoise décadente soit grotesque, monstrueuse, excessive, addict. Elle n'en reste pas moins une femme dépressive, trompée, déçue par la vie, mère, qu'on tente visiblement d'assassiner, qui passera sa fin de vie dans le coma. Elle n'en reste pas moins une victime, sans à aucun moment être vraiment traitée comme telle par l'intrigue et les autres personnages. Le plus choquant étant qu'on est aussi amené à rester de marbre sur son sort. Bien sûr Sunny von Bülow n'est pas complétement secondaire, elle a bien une voix, mais c'est celle prêtée à son corps cadavérique dans la lumière bleue de cette chambre d'hôpital où elle prendra perpétuité. Ce qui n'est pas sans rappeler la voix donnée à l'héroine, elle aussi victime de suicide dans Desperate Housewise (l'autre petit parallèle avec la série étant la présence lumineuse de celle qui deviendra Lynette). Mais ce n'est pas la voix de la défense. Les proches, ses deux premiers enfants, sa gouvernante, les avocats du camp opposé sont absents, invisibles, réduits au silence. Il est question d'un procès et de justice mais nous n'entendrons jamais leur version de l'histoire. Pourtant les soupçons d'autres meurtres de femmes, dont sa propre mère, planant sur Claus, ne semble alerter personne, ce qui fait pourtant pencher le fameux "mystère" du côté de sa culpabilité de manière préoccupante.


Il est facile d'excuser le film et son parti pris en se disant que c'est une autre époque dont on est sorti et que l'on ne peut juger avec les normes d'aujourd'hui. Le hasard a fait que j'ai revu juste après New York - Miami, le merveilleux Capra de 1934, autre histoire de grande bourgeoise insupportable. Par contraste, le Mystère de Von Bülow m'est apparu comme une anti-comédie de remariage. Sunny n'a ni droit à la recherche du bonheur, ni possibilité de s'en sortir, elle est condamnée dès le début à ne pas s'en sortir dans un monde où le pouvoir n'est pas vraiment celui de l'argent (car le sien lui portera plutôt préjudice) mais bien celui des hommes. Oui, ce film est très actuel, la culture des avocats qui s'y trouve dépeinte est terrifiante d'actualité. Le challenge et l'excitation que suppose le fait de "défendre l'indéfendable" doublé de sa justification célèbre selon laquelle tout le monde a le droit à avoir un avocat montre une vision particulière de la justice qui s'aveugle sur ses propres dysfonctionnements. En s'aveuglant par ce type de principe, au détriment d'autres principes, la "justice" se retrouve tristement, aujourd'hui comme dans le Mystère de Von Bülow, trop souvent, du côté des agresseurs. La question de savoir pourquoi un type caricaturalement à gauche souhaite défendre le bourgeois accusé de la tentative de meurtre de sa femme se pose de manière très pertinente. Pourquoi défendre des pourris ? des violeurs, des agresseurs, des assassins, avec autant d'entrain et de véhémence ? Pourquoi choisir ces cas-là et vouloir à tout prix ensuite les gagner indépendamment du fond de l'affaire ? Et y mettre toute son énergie indépendamment de la recherche de la vérité ? Pourquoi la présomption d'innocence est érigée en principe souverain au détriment d'autres aspects de la justice ? Pourquoi la seule crainte, pour ne pas dire la seule terreur, est celle de mettre des innocents en prison, et non le fait des violences lui-même et la possibilité monstrueuse que des criminels ne soient pas correctement jugés pour leurs actes et échappent à la justice ? 

Celle qui osera poser cette question, ou une partie tout du moins du problème, se verra ramener, sous la pression de l'avocat et du groupe, à oublier son insolente et "si naïve" objection pour rester dans l'équipe. Pourtant, ce n'est pas si naïf, ni en 1990 ni aujourd'hui, et il est urgent de questionner cette mentalité qui fait que des victimes se trouvent encore systématiquement abandonnées par la Justice (en France aujourd'hui, 0,6% des agresseurs seulement sont condamnés par la Justice). J'ai comme le sentiment que tous les partis pris du film, mis bout à bout, font vraiment de ce classique - un peu oublié maintenant mais acclamé par la critique et le public à sa sortie - un concentré de problèmes sociétaux intéressants, et de problème de morale également, n'en déplaise aux puristes du genre de film de procès et d'avocats. Rien que le fait que Claus Von Bülow soit suffisamment libre de ses mouvements, 10 ans après sa première condamnation, pour faire appel et remuer ciel et terre pour sa défense, devrait nous interroger sur le rapport des hommes à leur impunité. 


Alors oui je parle bien de morale, même si ça peut paraitre déplacé, dans la mesure où le sujet n'est justement pas la morale. Le procès final importe peu, il sera peu présent dans le film, car savoir si le type a vraiment tenté de tuer sa femme importe peu dans l'intrigue. Mais c'est là tout le problème. Le problème de la morale c'est qu'on ne peut pas y échapper complétement, qu'on est toujours dirigé dans un parti pris et que croire s'y soustraire est souvent le gage de son pire immoralisme.

lebo
4
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le 20 déc. 2022

Critique lue 30 fois

lebo

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