Les folles du désert
Diego Céspedes a 30 ans et en paraît facilement 12 de moins. Mais ce serait une erreur que de s'arrêter à son apparence juvénile, il a déjà deux courts-métrages primés à son actif et son premier...
le 24 sept. 2025
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Vu en avant première au cinéma Lumière Terreau dans le cadre de la sélection de films présentés au festival de Cannes 2025. Sortie salle en France janvier 2026.
Aux débuts des années 80, perdu dans une région aride du nord du Chili, un village minier où les distractions sont rares, vit une communauté de travestis et de femmes trans y tenant une sorte de cabaret où elles proposent aux habitants du coin des spectacles burlesques. Cependant depuis quelques temps, une étrange épidémie frappe la région et les tensions montent. Face à l'inexplicable et devant l'absence de traitements médicaux, une rumeur prétend que ce sont eux qui transmettraient cette maladie. Selon cette rumeur, si on croise leurs regards, on tombe amoureux et le mal nous atteint.
Evocation évidente et assumée de l'épidémie du SIDA, maladie qui à ses débuts, avant qu'on n'identifie le virus, qu'on lui donne un nom, qu'on comprenne son mode de transmission et bien avant que l'idée même d'une thérapie n'advienne, véhiculait comme dans le film tout un cortège d'idées fausses qui ont ostracisés la communauté homosexuelle, on l'appelait le "cancer gay". Si on a pu voir en Europe des œuvres traiter de ce sujet, pas toujours avec les intentions les plus claires quant au message porté - Les Nuits fauves par exemple est un film à la moralité très discutable et dont je doute qu'il ait au final été bénéfique à la cause - parfois précédés d'un enthousiasme qui me parait suspect dans sa sincérité par rapport aux réelles qualités du film, 120 Battements par minute . Je n'ai pas en revanche souvenirs de tels sujets traités dans le cinéma sud américain, chilien ici. Me permettre de projeter des événements que je suis un peu trop jeune pour les avoir vécus de façon directe, mais que des proches, des amis, des cousins plus âgés m'ont racontés, pour avoir croisés des malades, pour avoir vu sur des plateaux télés des dirigeants politiques suggérer qu'on isole les malades ou qu'on puisse les identifier, la campagne de Benetton "HIV Positif" qui avait défrayée la chronique ne venait pas uniquement de l'esprit provocateur d'un créatif cynique, elle avait un ancrage dans un discours public, dans un tout autre contexte m'a grandement intéressé.
En effet il y a un monde entre la faune interlope et les néons des nuits parisiennes, londoniennes ou newyorkaises et ce village prolétaire perdu dans l'immensité d'une région aride et pourtant des ponts se créent entre ces deux univers. L'organisation nécessaire en communauté des gays, si on se rappelle qu'en France l'homosexualité n'a été retirée de la liste des maladies mentales qu'en 1992 - et oui les réactionnaires qui vous disent que "c'est bon les droits des homos, ils veulent quoi de plus", feraient bien de s'informer un minimum - on peut sans peine imaginer qu'au Chili en plein cœur de la dictature de Pinochet, les droits et les traitements réservés aux PD n'aient pas été des plus progressistes. On pourra aussi pointer comme commun l'aspect politique de la fête, de l'art, de l'expression artistique, du cri militant parfois outrancier et tapageur mais tout ceci exprimait avec force et sincérité le fait qu'à tout moment la vie pouvait s'arrêter. L'humour comme arme contre aussi bien l'homophobie idéologique formée par une haine de l'altérité que l'homophobie ordinaire construite sur l'ignorance constitue là encore une caractéristique universelle. Malgré son sujet, malgré ses protagonistes, malgré sa façon de les mettre en scène, dans la lumière, d'en faire des portraits amoureux, sobres, jamais en surplomb, le film m'est apparu comme fédérateur, car à travers cette communauté atypique et qui suscite la rage chez certains, on a finalement un portrait de l'humanité dans tout ce qu'elle peut incarner à la fois de beauté, de résilience, de force mais aussi de sordide et de violence.
Galerie de personnages exubérants qui cohabitent avec une collection de figures plus sobres, oppositions qui peu à peu se nuancent pour mieux en souligner la vacuité face à ce qui nous lie, le film joue sur les ressorts d'une comédie dramatique, d'un thriller presque paranoïaque, la satyre faussement naïve et va même jusqu'à convoquer la "romcom'" avec un enthousiasme et une sincérité qui transparait dans chaque plan. Réalisation et photographie ne souffrent d'aucunes faiblesses disqualifiantes et le jeu des acteurs et actrices est plus que convaincant. Cependant, bien qu'il me faille reconnaitre avoir été globalement séduit, le film pâti à mon avis d'un gros problème.
La frénésie de son réalisateur Diego Cespedes dont c'est le premier long métrage et qui voudrait y aborder trop de thèmes, il y a trop de choses qui soient auraient pu être éludées, soit manquent de développements pour qu'elles en deviennent pertinentes dans le récit principal, soit encore apparaissent presque comme des passages obligés, des slogans attendus dans le contexte du film et de son récit mais qui frôlent parfois avec l'anachronisme et presque le hors sujet. C'est dommage mais à se demander de façon trop évidente quel sujet on aurait oublié on perd l'intensité. Un exemple : la parentalité au sein de la communauté homosexuelle, l'une des femmes trans a une fille adolescente, sujet fort en soi, mais qui ici n'est jamais central, tout en étant très présent, qui au final n'apporte pas grand chose à l'histoire principale et dont on finit par s'interroger sur l'utilité d'amener cette caractérisation ou plutôt l'intérêt de la développer comme étant primordiale alors que la conclusion montrera qu'elle ne l'était pas. C'est pour moi, le plus flagrant mais il y en a d'autres.
Quelque chose de plus tenu, de moins dispersé et nous étions face à vrai petit bijou d'intensité, de force, un film vraiment impactant et suffisamment inclusif pour emmerder les fâcheux quelque soit leur bord.
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Créée
le 18 juin 2025
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Diego Céspedes a 30 ans et en paraît facilement 12 de moins. Mais ce serait une erreur que de s'arrêter à son apparence juvénile, il a déjà deux courts-métrages primés à son actif et son premier...
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