Le Petit Nicolas a déjà investi les écrans depuis bien longtemps, pour devenir une franchise un peu aseptisée qui fleure bon la nostalgie et convie le casting français bankable du moment : c’est, en somme, devenu un morceau du patrimoine, déclinable à l’envi, au risque d’y perdre très vite et la fraicheur et la singularité qui avaient caractérisé l’œuvre originale.

C’est tout le parti pris de ce film d’animation d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre que de revenir aux sources et à la genèse de ce monument de la littérature illustrée. Pensé à l’origine comme un documentaire, le film a évolué pour devenir cet objet hybride qui va mêler pures séquences narratives du gamin et sa bande, making of en temps réel du projet artistique et biographie de ses deux éminents créateurs, Goscinny et Sempé.


L’animation s’inscrit ainsi sous le patronage du dessinateur de génie, dans une 2D qui fait la part belle au trait noir et aux aquarelles, privilégiant ce fameux cadre blanc inachevé dans lequel les personnages de colorent progressivement en entrant dans le champ. Comme souvent dans l’animation française, une alternative proposée à l’hégémonie de la 3D (qu’on pense au Sommet des Dieux, aux Hirondelles de Kaboul, à Josep ou encore Tout en haut du monde) qui ravit, et dont les spécificités servent avec pertinence le dispositif narratif : la fluidité du trait et la coloration à l’eau de l’aquarelle suivent une dispersion qui donne à voir le travail de l’imaginaire des créateurs, qu’on associe souvent à celui de l’enfant qui peut faire d’un petit avion ou d’un tas de sable le point de départ d’une expansion échevelée et poétique.


Le travail des transitions d’une séquence à l’autre, du récit encadré à la fabrique encadrante fait l’objet d’un soin méticuleux, et se déroule comme un véritable enchantement au cours duquel le petit Nicolas va prendre vie, accompagner ses pères, interagir avec eux, que ce soit dans la création de son univers fictif ou les échanges sur leurs propres destinées. L’humour potache de l’enfance côtoie ainsi une poésie plus raffinée, où l’on fait la part belle à la matière (le papier, la machine à écrire), aux inspirations (l’école de l’enfance) et, surtout, aux idéalisations d’une période durant laquelle le bonheur pourrait être si simple à appréhender. Car ces interactions avec ses créateurs sont aussi l’occasion pour l’innocent bambin et de se confronter à d’autres enfances que la sienne, qui virent Sempé grandir à l’ombre d’un beau-père violent et Goscinny subir les ravages de la Shoah. La mélancolie et la gravité ne prennent pas le spectateur au dépourvu : une narration non linéaire avait très rapidement évoqué en amont du récit la disparition prématurée de Goscinny, une mort du père que le personnage devra assimiler.


La fête continue d’une enfance rêvée prend ainsi une tournure plus profonde, une consolation pour des adultes désireux de vaincre des blessures lointaines, et le vœu secret de propager cette joie sur d’autres générations, bien conscients des pouvoirs de la fiction et de la force d’une œuvre qui, sans en prendre conscience, prend progressivement les traits d’une petite mythologie, et dont se film saisis parfaitement la genèse.


Sergent_Pepper
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le 24 oct. 2022

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Sergent_Pepper

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