On attendait ce bijou de poésie, de tendresse, d'esquisses aux milles couleurs, doublé avec amour, qui s'adresse à tous les âges, qui nous replonge en enfance et nous fait verser une grosse larme de crocodile, voilà ce qu'on attendait, pour être heureux. Tous les artistes rêveraient d'un si bel et puissant hommage, emmené par l’œuvre elle-même avec une envie folle. Le Petit Nicolas nous tend la main comme un bon copain, pour nous faire vivre sa propre naissance, mais aussi la vie du scénariste René Goscinny (parti trop tôt) et du dessinateur Jean-Jacques Sempé (qui aura attendu d'avoir posé cette élégante dernière pierre à son édifice, comme une stèle pleine de gaité, pour s'éteindre juste après sa sortie au Festival de Cannes), et qui a réuni au scénario Sempé lui-même et Anne Goscinny, la fille de son copain. La magie a opéré encore une fois entre les deux grands noms de la BD, pour signer de leur plume un testament qu'ils ont voulu drôle (les meilleures histoires du Petit Nicolas sont là, de la photo de classe à la colo, en passant par la grand-mère ou le cours de dessin...), jamais scolaire (les infos sur leur vie sont distillées au détour d'une phrase dite en buvant un café, en réponse à ce que le dessin demande avec innocence), gorgé de beauté visuelle avec ces traits simplistes et ces couleurs bariolées (on voudrait faire pause toutes les deux images, et encadrer le dessin magnifique pour chez soi), animé par son doublage enlevé de Laurent Lafitte, Alain Chabat et Simon Faliu (avec eux, les 80 minutes ont filé trop vite), porté par une joie de vivre simple et très efficace. Ajoutez à cela la musique qui s'écoute en boucle (un petit style jazzy qui va très bien au teint de l’œuvre, et qui rappelle la carrière de musicien de jazz dont rêvait Sempé), des profils de vie qu'on découvre totalement (les deux Messieurs à l'enfance difficile, qui posent sur papier un bonheur qu'ils n'ont pas eu), des glissements de couleurs à l'aquarelle (somptueux), et des moments d'émotions qui nous ont touché avec sincérité. La fin notamment est un crève-cœur optimiste : on pleure sur la disparition précoce de Goscinny, mais on sourit entre deux larmes au discours poétique de Sempé qui explique à son petit orphelin de papier que tous les trois continueront d'exister ensemble tant qu'il y aura des gens pour aimer ce petit garçon à l'écharpe rouge et aux cheveux indomptables... Le Petit Nicolas - Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ? est une poignée de main sincère et passionnée à deux auteurs qui ont marqué notre enfance, et on a eu du mal à lâcher les mains.