J'imagine la directive donnée pour le casting : "aucun acteur ne devra jouer mieux que M. Moullet". Défi relevé, à l'exception de Bernadette Laffont, qui jure sur l'ensemble. La gageure était de taille car le jeu de Moullet est catastrophique. Et comme il est le personnage principal de son film, on souffre pas mal.
Le jeu faux, on peut parfois l'accepter si cela sert le propos. Chez Bresson, il y a une cohérence par rapport au parti pris du cinéaste, considérer les acteurs comme des "modèles". Chez Rohmer, le caractère littéraire des dialogues passe délibérément au premier plan. Idem chez Emmanuel Mouret, dont la diction artificielle colle parfois au projet du film (Fais-moi plaisir, où il incarne un personnage hors norme, lunaire, déconnecté du monde), parfois non (Un baiser s'il vous plaît).
Moullet fait pire que Mouret, et son film n'est pas assez spécial pour qu'on accepte ce qui apparaît dès lors comme un gros défaut. Pour ne rien arranger, l'image est presque toujours moche, on se croirait au JT. Le film n'est beau que lorsqu'il montre le Vercors, ce qui est quand même la moindre des choses.
Résultat, ça ne passe pas, alors que l'argument du film avait de quoi séduire : un cinéaste en mal de financement fait croire à sa mort pour que ses films passent enfin à la télévision. La question du budget a toujours été l'un des chevaux de bataille de Moullet qui défend un cinéma pauvre, ce qui a toute ma sympathie. Je l'approuve lorsqu'il explique que Cléopâtre est l'un des plus mauvais Mankiewicz ! Il faut un minimum d'argent malgré tout, et même ce minimum, Moullet l'original a bien du mal à l'obtenir. Normal. Alors, pourquoi ne pas mourir ?
L'idée est malicieuse : chacun aura pu constater l'hypocrisie générale que déclenche le décès d'une personnalité. Par exemple, Johnny, moqué de toute part, devient un grand artiste lorsqu'il casse sa pipe et a droit à un hommage national, nonobstant son passé de grand exilé fiscal. Ici, son producteur se lamente de n'avoir pu financer le dernier projet du défunt cinéaste, mais s'y refuse lorsqu'il voit revenir Moullet. Bien sûr. Notre franc tireur de cinéaste ne se prive pas non plus d'épingler les mesquineries très parisiennes qui régissent les directrices de programmes.
Il y a bien quelques moments drôles : la mort de Godard qui contrecarre les projets de Moullet (dans une interview, le cinéaste explique que Howard Haks est mort le même jour que Chaplin, je l'ignorais !), Moullet qui cherche à cacher son pantalon sous la table pour ne pas être découvert, la visite à l'opticien, les coups de téléphone à la cabine, le gendarme qui lit "unéaste" au lieu de "cinéaste"... Mais tout cela est tellement mal joué qu'on a bien du mal à adhérer.
Déception donc, mais je n'abandonne pas pour autant ce réalisateur, attachant par son côté décalé et pince sans rire, que j'ai découvert il y a peu avec le savoureux Brigitte et Brigitte : ça jouait un peu faux aussi mais beaucoup moins que là, il y avait quelques beaux plans, et des idées cinématographiques en pagaille. Encore un nom à ajouter à la longue liste des cinéastes qui ont mal vieilli (Woody Allen, Polanski, Godard, Chabrol, etc.) ?...