Sidney Lumet était du genre têtu.


Car beaucoup de ses oeuvres les plus emblématiques étaient éminnement politiques et livraient une radiographie sans concession de son pays et de ses rouages parfois sérieusement grippés.


Huit ans après Serpico, toujours sur une base de faits réels, il plante à nouveau sa caméra en milieu policier, suivant les pas d'un Treat Williams livré à lui-même franchissant la barrière, dans une quête d'absolution qui, tout au long du film, aura tout de l'illusoire.


Car c'est au moment où il décide d'apporter son aide que sa vie se casse instantanément, devenant le jouet de forces supérieures qui l'instrumentalisent et le piègent peu à peu dans une fuite en avant en forme d'impasse. Son cas de conscience, son instabilité, sa nervosité vampirisent l'écran, nourrissant le constat amer dessiné par Lumet sur ce jeu de dupes proprement insoutenable d'hypocrisie.


De la rue humide où la drogue passe de main en main à la machination judiciaire implacable, Lumet promène son style toujours à la lisière du documentaire dans une oeuvre multiple aux sujets assez passionnants épousant les méandres d'une incroyable machine à la fois complexe et avide de la destruction de ceux qui font le choix de la servir.


La descente aux enfers, elle, est âpre. Ciello se perd et comprend trop tard que sa quête ne pouvait qu'éclabousser ses frères d'armes. Tout comme il réalise que l'individu, face à un système qui le dépasse de loin, n'est rien, et que cette machinerie est toujours prompte à se retourner contre lui.


Les compromissions, les sacrifices, les contradictions, tout cela est observé, montré, mis en avant avec une minutie de tous les instants par un Sidney Lumet que l'on devine en train de bouillonner derrière sa caméra d'une acuité exceptionnelle, aucun doute là dessus. Tout comme il filme les univers complexes, tortueux et profondément incompatibles, le tout en forme de faillite collective.


Le constat dressé est amer dans la souffrance et les gestes parfois sans retour, tout comme la réinsertion de son personnage moteur qui, s'il semble a priori être retombé sur ses pattes, est cependant confronté à un désaveu et à un dédain cinglants qui le poursuivront sans doute pendant le reste de sa vie. Dommage cependant, unique défaut de l'oeuvre, que Le Prince de New York s'étale parfois un peu plus que de raison dans sa durée.


Car si la démonstration est implacable de justesse et de désenchantement, si Lumet assène, secoue et affirme son constat d'une amertume et d'une tristesse redoutable, dommage que le rythme se perde parfois, dommage que le tempo faiblisse. Parce que sûr qu'avec quelques dizaines de minutes de moins au compteur, Le Prince de New York aurait accédé au rang d'oeuvre définitive.


Behind_the_Mask, en pleine union sacrée.

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le 4 nov. 2018

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