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Lorsque l’on lance une adaptation de Kafka par Orson Welles, on se doute que les pistes de lecture vont être plurielles, et que l’on va probablement passer à côté d’une palanquée d’éléments, de clés, qui permettraient de saisir l’intégralité de la richesse de l’oeuvre. Et ce dès cette introduction onirique, en fable cryptique faite d’esquisses ténébreuses, où je me demandais déjà ce que tout cela voulait bien dire.
Mais contrairement au cinéma de Tarkovski où j’ai bien plus de mal à accrocher, la patte de Welles sait me procurer assez d’enthousiasme dans l’indicible pour me faire tenir le coup. Outre les performances d’Anthony Perkins, Jeanne Moreau ou Welles lui-même, par delà les somptueux éclairages qui viennent parfaire le noir et blanc, c’est l’univers dépeint qui alpague le chaland. Cette ambiance à la croisée de l’orwellien, de la morne soviétique, et des exactions du régime nazi, où se mêlent espionnage de la vie privée, terrains vagues et tours ruinées, grands imperméables mutiques, et amoncellement d’objets et de personnes numérotées rappelant les images des camps.
Un monde fait d’espaces trop grands ou trop exigus, trop vides ou trop pleins. Des lieux aux agencements insensés, labyrinthiques, qui participent avec la temporalité incongrue à la confusion du personnage, et du spectateur. Fait de personnages trop explicites ou trop mystérieux, trop bavards ou trop taiseux, trop serviables ou trop méprisants. Il n’y existe pas d’entre deux, seulement les extrémismes.
On comprend alors que notre protagoniste, Josef K. se perde dans les méandres infernaux de l’administration, de la justice, de cette société malsaine. Qu’il se compromette seul dans la panique face aux murs qui n’affirment ni n’infirment, initiant ainsi la spirale auto-destructrice dans laquelle il s’enlise progressivement, se heurtant à chaque rouage d’une mécanique à l’absurdité insidieuse d’un système sans issue. Dans un univers où l’on parle de la Loi comme de textes sacrés devant lesquels on fait des génuflexions, la faisant alors pénétrer dans l’insondable du fanatisme religieux, il est soumis à l’Inquisition pour le péché de vouloir vivre. On le condamne par un verdict qui se marchande comme on le ferait d’une œuvre d’art. Josef, à vouloir comprendre et contester, était perdu d’avance. Il l’était dès sa naissance.
The Trial fait beaucoup plus appel au ressenti qu’à la rationalisation, et si les organes gouvernementaux satirisés sont évidents, on ne demande qu’à gratter davantage les couches de vernis pour mieux humer la sève même de l’esprit de Kafka, de Welles. Mais à défaut de tout comprendre, on découvre là l’influence évidente du Brazil de Terry Gilliams.