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Je savais confusément que L ’Amant de Lady Chatterley avait été au coeur d’un vaste débat dont j’avais oublié les circonstances précises : l’excellent docu-fiction de Mathilde Damoisel me les a remises en mémoire.


C’est en 1960, à Londres, que s’ouvre le « Procès du siècle » : la Couronne britannique contre Penguin Books.


Qualifié d’œuvre « obscène » et interdit au Royaume-Uni depuis sa sortie à compte d’auteur en 1928, il aura donc fallu attendre plus de trente ans pour que le roman soit publié et que le tribunal lui reconnaisse, enfin, de réelles qualités littéraires.


Je me souviens encore de l’éblouissement éprouvé à la lecture de certains passages dits sulfureux, où éclatait, dans un délire sensuel et évocateur, cette urgence du désir déversant son trop plein de beauté dans l’acte d’amour :



C’était comme des sons de cloches qui montaient, montaient en ondulant jusqu’au point culminant. Alors que son corps était ouvert et doux, et criait doucement, comme une anémone de mer, prise dans la marée , elle s’accrochait à lui, perdue dans la passion, et elle sentit le doux bourgeon qui remuait en elle ; D’étranges rythmes jaillissaient dans son corps en un mouvement régulier qui grandissait, gonflait, gonflait jusqu’à emplir toute sa conscience éclatée, et c’étaient de purs et profonds tourbillons de sensations qui tournoyaient de plus en plus profondément dans sa chair et sa conscience jusqu’à ce qu’elle ne fût plus qu’un parfait fluide concentrique de sensations…



Merveilleuse poésie érotique au service de l’œuvre sans doute la plus essentielle de Lawrence, celle par laquelle il affirme, dans cette Angleterre corsetée, engoncée dans ses préjugés de caste et de classe, que la femme trouvera son émancipation à travers sa conquête du plaisir : le personnage de Constance étant vraisemblablement inspiré par sa propre épouse Frieda avec laquelle il vivait une relation libre, que l’on pourrait qualifier d’avant-gardiste en cette fin des années 1920.


Extrêmement vivant, nourri d’archives et d’interviews, le documentaire nous replonge dans les minutes de ce procès où s’affrontent partisans et détracteurs de Lawrence joués par des comédiens, tel le procureur, Mervyn Griffith Jones, qui, agressif et emperruqué , égrène scrupuleusement d’un ton outré les quelque 100 fois où sont explicitement cités attributs virils et féminins, fustigeant des pages « où le sexe est ramené à la moindre occasion ».


Mais face à lui, des instances universitaires , professeurs de littérature, critiques divers, voire même un évêque, défendent le roman avec une ardeur sans pareille, exposant la toute puissance de cette prose qui célèbre l’acte d’amour avec une sorte de pureté sacrée, où le corps, en communion avec la nature, se fond en elle pour retrouver l’essence même du plaisir primal de la vie.


Que l’on est loin de la pornographie qui fut reprochée à Lawrence ! Un livre que l’écrivain voulait intituler «Tendresse » si tant est qu’avec ce roman, il affirme la primauté de l’amour physique sur un intellectualisme maladif, ainsi qu’en témoigne son cri du cœur : « Oh, si seulement on pouvait préserver la tendre douceur de la vie, la tendre douceur des femmes, la richesse naturelle du désir!»


Sous sa plume, le sexe devient le moteur, le lien essentiel qui nous permet d’accéder à notre moi profond, Constance s’éveillant lentement à une sexualité qui la révèle à elle-même et à l’autre :


«elle arriva au coeur-même de la jungle de son être »,


plénitude d’un corps que la jeune femme découvre avec volupté, elle qui s’étiolait au côté d’un mari, vivant, mais impuissant depuis son retour de la Grande Guerre.


Et toujours, comme pour rythmer ces ébats, la nature se fait complice d’un amour qui suit le cycle des saisons, de l’hiver au printemps, ce renouveau célébré par l’écrivain au fil de pages d’une beauté et d’une richesse inouïes :



C’était vraiment une journée délicieuse. Les premiers pissenlits s’ouvraient comme des soleils, les premières pâquerettes étaient si blanches ! Le buisson de noisetiers faisait une dentelle, avec ses feuilles à demi- ouvertes entre les lignes perpendiculaires et poussiéreuses des derniers chatons. Les anémones jaunes étaient en foule maintenant, largement ouvertes, se chevauchant les unes les autres, d’un jaune éclatant. C’était le jaune, le jaune puissant du début de l’été. Le vert luxuriant et sombre des jacinthes était une mer où les boutons se dressaient comme du blé pâle… Partout le nœud de boutons et l’élan de la vie !



Epaisseur, profondeur et modernité du roman, c’est ce que soulignent notamment les écrivains Sylvain Tesson et Catherine Millet, laquelle s’est fait la chantre du plaisir féminin ; en croisant la route de Lady Chatterley, Catherine Millet chante son amour pour son créateur D.H. Lawrence : « à cause de sa figure de mauvais coucheur, à cause de l’extraordinaire sensibilité de son « écriture androgyne » dont parlait Anaïs Nin.


Et ainsi, au fil des interviews, s’affirme de façon éclatante le talent d’un auteur qui n’aura pas eu le bonheur de voir son œuvre publiée, s’éteignant en 1930 après avoir donné trois versions d’un roman, vibrant de sensibilité, de sensualité et de beauté : « Requiem pour une nature blessée » qu’occulta longtemps une réputation sulfureuse suscitant fantasmes et malentendus.


Un procès qui se soldera, juste retour des choses, par un « non coupable » unanime et la reconnaissance tardive d’un écrivain et d’un homme d’exception, fils de mineur, qui à travers cette idylle entre un simple garde-chasse et une Lady, osa transgresser l’ordre social, dénonçant au passage les ravages de la Guerre et de l’industrie.


Après l’apocalypse que constitua en effet la Grande Guerre : « le cataclysme est venu, nous nous retrouvons parmi les ruines et nous commençons à reconstruire 1918…» Lawrence clame son espoir de « vivre malgré tout ».


C’est ce que tenteront de faire aussi Constance et Mellors, héros de ce roman que l’écrivain, s’adressant à la postérité, qualifiait de « livre sain et nécessaire ».
Célébrer l’acte d’amour sans tabou, faire superbement exulter la chair, dans « un gigantesque hymne à la joie » exempt de toute perversité, voilà le pari gagné de son auteur, quelque 32 ans après avoir écrit ce roman dont il s’enorgueillissait à juste titre.


Un jugement rendu en 1960 qui vit un public, ne contenant plus son impatience, se ruer sur cette œuvre, quelques années seulement avant la déferlante sexuelle qui allait suivre.

Aurea
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le 25 nov. 2019

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