À la fin des années 90 le cinéma d’horreur est au pied du mur et tend à se métamorphoser. On a vu un paquet de films de genre défiler sur les écrans mais peu d'entre eux ont sût renouveler le propos ou bien les mécanismes de mise en scène, si ce n'est qu'une nouvelle forme introspective est née grâce à un monstre sacré : le regretté Wes Craven qui aura parachevé une saga qu'il aura initié 10 ans plus tôt avec Les Griffes de la Nuit. Il s'agissait d'une métafiction qui s'intéressait au phénomène de sa création dont les audiences ne désemplissait pas au fur et à mesure des épisodes, toujours enclin à voir Freddy massacrer des ados dans leurs rêves. Après quoi il s'est donc vu confier un scénario de Kevin Williamson par les frères Weinstein, le sacrosaint Scream qui deviendra d'ailleurs le fossoyeur du slasher. Par ailleurs l’expansion du réseau internet et de ses chaînes de courriel formèrent un nouveau phénomène communément appelé « creepypasta » soit des légendes urbaines (Bloody Mary, Slender Man) destinés à épouvanter les lecteurs par l’intermédiaire de rumeurs, vidéos, photos et différents formats susceptible de propager leur diffusion virales, ce qui sera d’ailleurs le sujet de Ring de Hideo Nakata.


À cela s’ajoute la recrudescence des émissions de télé-réalité qui influenceront les producteurs désireux de réinventer la peur comme on le verra avec Kolobos, tentative raté de Loft Story avec une tueuse schizophrène et amnésique enfermé avec d'autres candidats. Surtout, l'époque permet la démocratisation des premiers caméscopes numériques envahissant alors le marché grand public. Quelque part, Le Projet Blair Witch s’inscrit parfaitement dans le giron de cette génération, puisqu’il se présente comme l’enregistrement authentique d’une équipe de reporters que l'on aurait retrouvé un an après leur disparition. Ces images qui retracent l’itinéraire de leur parcours dans les bois ainsi que leur dernières heures constitue la pierre angulaire d’un genre : le Found Footage (ou métrage trouvé) qui se popularisera près d’une décennie plus tard en raison de ses faibles coût de production et de ses retombées financières massives. Le film fût en partie financé grâce à une habile stratégie commerciale qui reposait justement sur la création d’une légende urbaine. Leurs créateurs balancèrent de fausses rumeurs sur les forums avant qu’un site internet énigmatique couplé à des avis de recherches ne fisse son apparition. Les trois principaux acteurs furent présumé mort, et la communication fût axé autour de ce fait divers. La méthode n’était pas sans rappeler celle de l’illustre Cannibal Holocaust avec lequel il se dispute souvent la paternité de ce genre, et pour lequel son réalisateur Ruggero Deodato se retrouva en procès suite au réalisme de ses mises à morts et de la disparition de son casting.


Si le dispositif de mise en scène pourra dérouter plus d’un spectateur, l’effet de style couplé à une prise de vue caméra à l’épaule renforce l’immersion ainsi que la sensation de promiscuité. Le Projet Blair Witch ne cherche jamais à se complaire dans de vulgaires effets racoleurs, au contraire puisqu’il laisse une place prépondérante au hors-champ grâce à ses effets sonores, et ces ténèbres que l’on imagine habités par une présence malveillante. Quelques piles de cailloux, des totems de brindilles et quelques breloques suffiront à distiller la peur et à alimenter le background scénaristique qui convoque de manière sommaire le folklore des récits de Salem bien que cela reste sujet à l’interprétation des spectateurs qui animeront de nombreux débats. Certains évoquent des phénomènes occultes, d’autres un vaste complot organisé par les deux hommes du trio voir même par les habitants de la communauté. Les témoignages sur l’affaire Rustin Parr suffisent déjà à susciter l’effroi lorsqu’on apprend de la bouche d’un habitant que le tueur manipulé par la sorcière forçait ses victimes à se tourner face au mur avant de les exécuter. Un détail macabre que l’on retrouvera dans un pay off absolument terrifiant lors du climax et qui servira d’ailleurs de ressort sur lequel reposera le troisième film de la franchise réalisé près de 20 ans plus tard par l’opportuniste Adam Wingard qui à défaut d’un spectacle tout bonnement exécrable s’octroie d’une fin haletante puisque l’objectif de la caméra sert autant de champ de vision que de moyen de défense face au regard de la sorcière décharnée.


Mais pour parvenir à un tel résultat, le duo de réalisateurs durent mettre leurs acteurs dans de parfaites dispositions en orchestrant un véritable jeu de piste dans les bois. Les protagonistes furent donc réellement livrés à eux-mêmes en totale improvisation sans se douter des pièges qui les attendaient. Des petites figurines de bois disséminés dans les arbres, aux colis macabre livrés au pied du campement, aux nuisances et harcèlement nocturne couplé à des rires d’enfants, le régisseur Greg Hale revenu d’un stage commando sema la peur et la discorde au sein du groupe qui devinrent rapidement parano notamment Heather qui ne dormait plus que d’un œil, une opinel à porté de main. Si les méthodes sont discutables, il convient de reconnaître que cela confère plus de crédibilité à leurs réactions, alors qu’ils étaient éprouvés par la faim, la fatigue et en proie à la terreur. Si le film ne coûta que 60 000 $, il en rapportera 250 millions occasionnant un tour de force sans précédent dans l’histoire du cinéma. Nombreux seront ceux à se lancer dans l’aventure en singeant le même procédé dans de multiples environnements, reprenant à leur compte d’autres artifices de mise en scène sans jamais être en mesure de pouvoir en justifier le recours ni même de respecter la diégèse induite par ce type de dispositif. Le Projet Blair Witch constitue ainsi un authentique cas d’école doublé d’un canular opportuniste qui aura eu le mérite de foutre réellement les jetons du moins pour ceux qui auront fait l’effort de le regarder dans de bonnes conditions

Le-Roy-du-Bis
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le 6 nov. 2023

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Le Roy du Bis

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