Il faudrait beaucoup de temps et beaucoup de mots pour expliquer en quoi Le Ruban Blanc est une clé puissante pour comprendre le destin tragique de l'Allemagne au XXe siècle et l'émergence du nazisme, et du totalitarisme en général, au sein de l'Europe du début de ce siècle.
Une austérité sans concession, qui obéit à des règles immuables sans aucune remise en question. Un étouffement des passions et des émotions, sous le socle de la religion protestante, qui humilie les enfants pour des choses dérisoires et pousse des adultes à commettre l'indicible dans le secret. Dans cette société de l'hypocrise généralisée, cachée derrière un idéal de pureté religieuse, le péché n'existe que s'il est découvert. Une injustice sociale sourde et persistante validée par Dieu, par la loi, par les faits. Et un décalage de plus en plus manifeste entre ce monde figé du passé et ce nouveau monde accéléré, industriel, scientifique, rationnel.
Haneke filme la fermentation de cette violence presque millénaire qui se transmet aux enfants eux-mêmes, qui apprennent à mépriser l'empathie et la justice autant que leurs aînés ("Je suis un Dieu jaloux qui punit le péché des pères sur leurs enfants jusqu'à la troisième génération." Exode 20:5), mais dont la violence intérieure doit désormais se tourner contre ce monde ancien, et non plus le soutenir.
Le Ruban Blanc offre ainsi un tableau de cette époque, de ce croisement des générations. Une tension permanente, qui parfois vous saisit la gorge pendant de longues minutes suffocantes, jusqu'à exploser dans une cruauté d'autant plus choquante qu'elle est retenue. Sans oublier évidemment une esthétique en noir et blanc saisissante de contrastes et de beauté. Pas de musique, juste cette tension, cette force austère cachée derrière chaque scène. Haneke n'explique rien, il énonce juste les faits, il raconte les événements survenus dans ce petit village allemand et invite chacun à comprendre ce qu'il pourra. Un moment de cinéma d'une force rare.