Plan séquence porn
La première chose qui frappe avec Pamfir c'est les plans séquences. On sent que Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, le réalisateur, a voulu en mettre plein la vue à tout le monde. L'image est toujours...
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le 31 déc. 2022
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L’avis sans trop de spoil : Un film un peu trop formel mais qui a quelques fulgurances et mérite d’être vu.*
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[Edit : Ajout de trois éléments à la fin. La sensualité, le conflit avec la Russie et l'évocation d'un court-métrage du réalisateur]
Et à partir d’ici ça spoile :
J’ai été immédiatement gêné par la trop grande visibilité de la forme et des intentions mais par moments le film a su dépasser les écueils qu’il s’était lui-même créé.
Les plans séquences sont très maîtrisés mais pas toujours justifiés. Ils créent aussi un systématisme dommageable. Beaucoup vont du plan d’ensemble ou moyen au gros plan après une déambulation souvent circulaire. J’ai eu comme un soulagement quand il y a eu enfin un plan pour prendre la dynamique inverse et partir du gros plan vers le vaste, c’était pour la forêt, et c’était particulièrement adapté (et beau).
C’est peut-être le tout premier plan qui m’a le plus déplu et c’est dommage pour ouvrir une œuvre, comme si je voyais la chorégraphie au lieu de la ressentir. J’ai senti l’exposition des personnages au lieu de vivre quelque chose de naturel. C’était une façon habile de présenter les protagonistes et leur passé tout en annonçant ceux à venir dans le film. J’aurais aimé vivre quelque chose de plus sensuel et émotionnel avec le costume de paille. Ça arrivera plus tard, c’est dommage que ça n’arrive pas tout de suite.
Le montage est abrupt et finit de nuire aux nombreux plans séquences. J’aurais aimé que la caméra reste plus longtemps sur certaines fins de plans séquences pour créer une respiration ou permettre un état mental qui reflète celui des personnages. C’était frappant avec les jumeaux qui se regardent et réalisent ce qui vient de leur arriver et ce à quoi ils ont échappé. Ça coupe trop vite. Je pense aussi à la disparition dans la forêt où j’aurais apprécié d’avoir quelques secondes de plus, au lieu que ça coupe juste au moment où le dernier de la file disparaît dans les troncs. Le choc de la beauté de la scène aurait été sublimé. Même la masturbation aurait pu être moins expédiée, pas pour sa valeur érotique mais pour le jeu visuel avec la déformation de la vitre et ce que ce dos aurait pu dire si on l’avait laissé s’exprimer plus. De fatigue, de rage et d’envie de revanche. Et même le plan du vêlage qui est pourtant assez long et m’avait enfin à peu près satisfait aurait pu durer plus.
J’ai beaucoup pensé aux « Chevaux de Feu » de Paradjanov, film ukrainien mythique mais aussi au « Cheval de Turin » de Bela Tarr. Je ne sais pas si ce dernier est une influence mais Paradjanov en est forcément une. Ce film est un peu coincé entre ces deux monuments, en n’ayant ni la liberté de Paradjanov, ni la perfection hypnotique et physique de Tarr. Il n’est pourtant pas loin d’être aussi bon mais quelque chose autour du rythme n’y est pas et empêche le film d’accéder à toute la palette de physicalité qu’il visait.
La scène du combat est épaisse avec ses claques monumentales, comme des claques de demi-dieu. C’est assez réussi pour moi. Plus encore la scène de la fête où les créatures de carnaval s’animent et dévoilent la dimension physique qui manquait à celle du premier plan. Et tous les plans avec la boue aussi. Dans la plupart des autres cas l’élan formel du plan séquence vient un peu trop entraver ce qu’il cherche à dire.
Je reste imprégné de beaucoup d’images : le visage noir bleuté dans la nuit enneigée à la fin, la lumière dans le tunnel, la toilette, le puits, le combat, l’incendie, la fête, la forêt… malgré cette critique sur la forme trop en avant, il y a beaucoup de choses pour lesquelles s’émerveiller visuellement.
Gros spoil :
Le scénario prend la forme d’une tragédie antique mêlant le retour d’Ulysse aux déboires d’œdipe. Les personnages sont tous destinés à être la main du destin. Ils précipitent les évènement en ne voulant pas les provoquer. Ils trahissent leur promesses, mentent auprès des uns croyant en protéger d’autres. Tout ce qu’ils veulent empêcher arrive.
C’est l’occasion de dérouler la liste des obstacles comme autant d’expressions de la fatalité, à laquelle il semble impossible d’échapper pour la majeure partie de la population. Tout est difficile et se résigner en s’en rendant à Dieu semble la seule solution.
GROS gros spoil :
Si on peut trouver une certaine évidence à la litanie des emmerdes qui, sans forcément les rendre prévisibles, leur enlève un quelconque effet de surprise, cette succession d’épreuves finit par provoquer un fort sentiment de révolte. J’espérais de tout cœur voir la vengeance de Pamfir s’exercer mais le film a le bon goût de ne pas répondre à mes attentes et de rester dans la logique qu’il a empruntée. Il ne pouvait se passer que ce qui s‘est passé.
Il reste l’immense sensualité de l’œuvre où l’érotisme le dispute à l’homoérotisme. La matière est toujours présente, les corps aussi à en ressentir presque le le poids et la texture. Et comme on a trouvé les deux frères très beaux, chacun dans leur genre (bon le demi-dieu Oleksandr Yatsentyuk est presque hors de ce monde), l’émotion du film a pris des teintes charnelles.
Certains s’évertuent à détacher l’œuvre de la guerre en Ukraine. S’il est factuellement vrai que le film est sorti avant la guerre de 2022, j’y vois néanmoins de nombreux éléments le reliant au contexte. Tout simplement, la Russie attaque l’Ukraine dès 2014. Les pro-russe sont explicitement cité dans le film. Cette guerre part d’un mouvement anti-corruption contre le pro-russe Viktor Ianoukovytch.
Quand on voit le « garde chasse », on ne peut s’empêcher de penser à Poutine ou à un modèle de corruption poutinienne (pas différent des autres modèles de corruption en réalité, de Ben Ali à Sarkozy, à part pour leur profondeur et leur gravité...). Le discours nationaliste plein de « naturel », l’homme fort et providentiel, père de la nation, blabla. L’anniversaire avec l’ours en cage à la façon des célèbres images de propagande de Poutine torse nu ne laisse aucun doute sur ce qui est visé. Si ce n’est Poutine directement, ce sont tous les salauds de son genre.
Donc, pour moi, au contraire, ce film mentionne la guerre, la corruption, l’état russe pourri et l’état ukrainien guère meilleur. La solitude de la population face aux abus n’en est que plus forte. S’il n’y avait qu’une raison factuelle de voir et soutenir le film ce serait donc celle-ci !
Avant de conclure, j'ajouterai que j'ai été ravi de découvrir que j'avais déjà vu, et apprécié, son court "Weightlifter". Il prend un sens un peu plus grand maintenant qu'il y a un début d’œuvre.
En conclusion : Un peu moins d’effets de manches n’aurait pas nuit à ce film et une légère souplesse dans sa respiration aurait permit plus de sensualité et de réflexion à la fois. Je pense que c’était possible sans compromettre la sorte de mise en tension permanente. L’épaisseur de l’engluement dans la boue aurait fini de prendre toute sa place légitime comme âme de l’œuvre. Car je pense que, plus qu’une tension permanente, c’est cette épaisseur, ce poids des choses qui est central au film.
6,75/10
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* Je me retrouve totalement dans ces trois critiques-ci bien qu'elles mènent à des notes différentes :
Celle de Moizi : https://www.senscritique.com/film/le_serment_de_pamfir/critique/281802957
Celle de Cinephile-doux : https://www.senscritique.com/film/le_serment_de_pamfir/critique/272134793
et Celle de Jack_M : https://www.senscritique.com/film/le_serment_de_pamfir/critique/278622805
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Mon Celluloid Closet et Mes suites imaginaires, les courts
Créée
le 29 sept. 2025
Modifiée
le 30 sept. 2025
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