janv 2010:

Premier long de Melville, deuxième expérience cinématographique et déjà le cinéaste pose les jalons de son oeuvre, un amour de la belle image -le travail du directeur de la photographie Henri Decaë est remarquable, jouant sur les angles comme sur les jeux d'ombres et lumières notamment sur le faciès saillant de Vernon- mais surtout bien entendu cette fascination pour le silence, ici seulement coupé par deux voix, celle de l'officier allemand incarné par un très jeune Howard Vernon, entre Karloff et Kinski, au physique à la fois rectiligne et romantique, bien à l'image du personnage, rêveur, singulier et pourtant bien allemand dans ses attitudes et sa démarche, également celle de Jean-Marie Robain, en voix-off, narrant ou commentant, un peu pour le justifier ce silence inhabituel mais qui n'est jamais pesant.

Le roman de Vercors a dû être une histoire bien difficile à narrer mais à mettre en image, cela dut être encore plus ardu, sans tomber dans l'invraisemblance ou l'extraordinaire. Car l'on sent bien également l'intérêt pour Melville de filmer de manière très réaliste, mais spectaculaire, des histoires simples, ordinaires ou plutôt dont l'extraordinaire se cache derrière une façade de banalité. Que ce soit le casse du "Cercle rouge", l'évolution solitaire et silencieuse du "Samouraï", la traque du "Flic" ou l'immersion froide dans la Résistance de "L'armée des ombres", Melville cherche à rester au plus près du réel, sans chercher des effets de style sur le plan visuel.

Derrière la sécheresse du traitement se cachent pourtant de grandes émotions. Ici la voie de résitance qui se décide sans rien dire, dans un élan naturel, une impulsion ou un réflexe inné, entre le vieil homme et la jeune femme est un chemin honorable mais ô combien difficile à suivre, faisant d'eux des héros de leur quotidien où leur volonté est mise à rude épreuve. D'autant plus qu'ils tombent sur un gentleman, un francophile dont l'élégance, la culture et la candeur leur donnent un fameux fil à retordre.

Ce personnage aussi métaphorique soit-il pour Vercors et Melville n'en demeure pas moins un brin difficile à avaler. Il faut faire fi de l'invraisemblable officier allemand qui découvre en pleine guerre l'horreur nazie pour mieux apprécier l'hommage rendu à la culture germanique. Il faut imaginer le courage nécessaire pendant la guerre à Vercors et si tôt après à Melville pour faire les louanges de cette culture. Certes l'histoire véhicule nombre de clichés sur les allemands et les français, mais remettons-nous dans le contexte compliqué de l'époque.

Pour un premier long, Melville s'en tire plus que haut la main. Le rythme est savamment maitrisé. Là encore, il y avait de quoi s'endormir, mais jamais l'action n'est ennuyeuse, bien au contraire, on reste toujours très attentif. Le final suscite une très vive émotion et saisit le spectateur ainsi que les personnages. Cela rappelle ces émotions très fortes créées par Melville dans ses films ultérieurs, des coups venus après une longue observation, des coups auxquels on s'attend sans pouvoir y échapper.
Alligator
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le 30 mars 2013

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