Les tribulations d'un dragon et de son sidekick anthropophage

Si Anthony Hopkins peut se targuer, sans conteste, d’incarner le visage du monumental Hannibal Lecter dans l’imaginaire collectif, il serait malvenu de tirer un trait sur un certain Manhunter : cinq ans avant Le Silence des Agneaux de Jonathan Demme, le célèbre psychiatre cannibale de Thomas Harris bénéficiait alors d’une première apparition sur grand écran, cette adaptation du roman Dragon Rouge dépeignant son « association » au profiler William Graham.


Tout de même, ce long-métrage signé de Michael Mann présente bien des spécificités en faisant une petite curiosité : une première d’abord, en la personne de Brian Cox, campant pour l’occasion « Lecktor », tandis que la place de ce dernier s’avère être des plus secondaires. Là où les films suivants placeront ce dernier au cœur de leurs récits respectifs, Manhunter semble ainsi faire office d’intrigue annexe, mais il serait grandement réducteur de le qualifier de la sorte : le titre original annonce d’ailleurs la couleur, le devant de la scène revenant au Dragon Rouge, un obscur tueur en série n’illustrant que fort bien le penchant d’Harris pour les antagonistes tortueux... et insaisissables.


Au bout du compte, le long-métrage fait montre de qualités indéniables, notamment en termes de rythme et autre ambiance : sans jamais céder à la facilité, Manhunter déroule consciencieusement une intrigue solide, jamais empressée et surtout surprenante. Le point of view à mi-parcours de Francis Dollarhyde est à juste titre fort efficace, le film prenant à contre-pied les canons du polar, d’ordinaire suspendu à la quête effréné de son justicier.


Cerise sur le gâteau, le troublant Dragon Rouge démontre d’une ambivalence subtile, au point d’extraire de ce profil antagoniste une composante humaine brouillant les repères manichéens : sous couvert d’une prestation des plus appréciables de Tom Noonan, on se surprend à se passionner quant au devenir de ce géant à la sensibilité exacerbée, première victime de ses propres afflictions mentales (le baiser fantasmé est grisant).


Pour autant, celui-ci ne vole pas non plus la vedette à Will, figure de proue d’un certain classicisme dans un premier temps : le coup de l’agent fédéral à la retraire reprenant du service le temps d’un dossier épineux, rien de bien original en soi. Fort heureusement, le cheminement scénaristique s’ensuivant fait la part belle à un portrait moins lisse qu’il n’y paraissait : son rapport au Dr. Lecktor est de fait évocateur quant à ses propres failles (comme ses parts d’ombre), les raisons de son retrait des affaires, sans jamais être explicitement détaillées, stimulant avec parcimonie l’empathie du spectateur.


De surcroît, William L. Petersen se pose comme une énième bonne surprise, et l’on peut enfin en venir au cas de Brian Cox : sans faire aussi (magistralement) bien que Hopkins, il faut reconnaître que ce Lecktor, quoique vraiment secondaire, pointe une démarche intéressante de Manhunter. Comme placé sur orbite, son ombre plane pendant un temps de façon certaine, Graham en faisant les frais, puis décroît peu à peu à mesure que le Dragon Rouge ne se dévoile : une sorte de passage de témoin en somme, et ce pour le meilleur tant ce dernier s’acquittera fort bien de la tâche.


Un jeu du chat et de la souris atypique à bien des égards en somme, un sentiment corrélé qui plus est à l’ambiance très 80s (la BO n’est pas en reste) du long-métrage, dont l’on décèle un charme particulier : toutefois, ceci fait montre d’approximations de ton désarmant tout semblant de tension en bout de course, Michael Mann en profitant pour saper son travail probant (jusqu’ici) en accouchant d’un dénouement peu convaincant (à la limite du ridicule même).


Certainement jamais vraiment horrifiant, si ce n’est frissonnant, Manhunter manque en tout cas le coche en termes de tension pure, l’examen à posteriori de ce thriller efficace laissant un drôle d’arrière-goût : trop sage peut-être, et bien plus encore trop évasif en ce qui concerne Graham, dont le potentiel était pourtant des plus évidents. On se contentera néanmoins de l’utilité tangible d’Hannibal, bien qu’il n’aurait pas été de refus de le voir peser davantage dans le récit, tandis que le Dragon Rouge demeure un motif de satisfaction incontestable.

NiERONiMO
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le 17 avr. 2017

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