Le Testament d'Orphée est un film d'une liberté folle, prenant par la main les spectateurs d'une mise en abime, où le Poète s'amuse à faire irruption dans un univers qu'il estime être un 'entre-deux', entre le mort et le vivant, entre lui et le spectateur. C'est un film de fin de vie, de passage, où Cocteau s'incarne lui-même en une figure créatrice et passive à la fois, voyageant lui-même dans sa propre conscience, dépassé par sa propre Œuvre, avec le peu de raison et de sérieux qu'on aime à lui prêter.
C'est un film que l'on devrait montrer à tous les enfants. Cocteau s'adresse d'ailleurs "aux jeunesses successives" comme il le dit si bien, à ceux dont il faut préserver la désobéissance pour faire éclore leur nécessité. C'est une élégie sublime adressé à un large public qui ne prétend pas à se suffire du Cocteau "poète", mais qui étend un univers cinématographique joueur et farceur, désireux de jouer avec tous les outils possibles : surimpression, temps inversé, travelling, etc.
Le Poète s'amuse comme un enfant, il apparaît, réapparaît, joue de son pouvoir, intervient dans la vie des personnages comme un miracle, se joue de lui-même. Il y a trouvé dans son histoire la nécessité du cinéma, sa faculté à déployer les fantômes et à se jouer du Temps. C'est ce qu'il lui permet de laisser opérer sa narration comme un tour de passe-passe fascinant, un grand jeu de miroirs, où l'on passe de lieux en lieux par le bras du personnage de Cégeste, incanté par Cocteau et véritable repère dans le film.
Le Testament d'Orphée est une balade avec Orphée et Eurydice (Cocteau et Cégeste) dans un monde antique, bucolique, affranchi du Temps, où le montage est, au sens symbolique, une porte vers quelque chose d'autre. C'est aussi à travers cette idée géniale de cinéma que le film détient sa "confusion logique" pourrait-on dire, et toute sa tendresse.
Le génie de ce film réside aussi, pour finir, dans la mise en situation extrêmement comique de la confrontation entre le réel et la fiction. Nous avons une scène de procès au milieu du film où Cocteau est confronté à des "juges", hostiles aux excès d'irréalité de notre artiste, et où il lui est demandé de rendre des comptes. Cette scène, sans en dire plus, en termes d'écriture et d'incarnation, est une magnifique lettre d'amour à l'enfance, aux possibilités, aux multiples langages.
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