Le Vent se lève
7.3
Le Vent se lève

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2013)

Miyazaki à la retraite, il faut tenter de vivre...

Présenté comme le onzième et dernier long métrage du réalisateur japonais de génie Hayao Miyazaki, Le Vent se lève est une œuvre testamentaire intelligente et inspirée. Par le truchement d’une époque racontée, Miyazaki nous confie ses inquiétudes et ses espoirs pour l’avenir du Japon et de l’humanité.

« Il faut tenter de vivre » nous susurre Paul Valéry dans son poème Le Cimetière marin ; reprise par Miyazaki, cette injonction prend la forme de la destinée d’un jeune homme, Jiro Horikishi, et de son désir du ciel. C’est au début des années 1920, au moment du séisme de Kanto, que débute cette fresque ambitieuse. Jiro, inspiré par le concepteur d’avion italien Giovanni Caproni, rêve de voler mais, empêché par son handicap visuel, il doit renoncer à devenir pilote. A cœur vaillant rien d’impossible, Jiro s’engage comme ingénieur en aéronautique pour concevoir le plus bel avion possible, cette incroyable chimère qui lui permettra enfin d’atteindre les cieux. Ce désir de voler, Miyazaki nous l’avait déjà transmis puisqu’il hante son œuvre depuis Nausicaä de la vallée du vent ou le Château dans le ciel, ou à travers Kiki la petite sorcière, et davantage encore dans Porco Rosso.

Rejeté sévèrement par la presse japonaise et les politiques proches de la gouvernance nationaliste du Premier Ministre Shinzo Abe, Le Vent se lève permet à Miyazaki de dessiner tout à la fois une fresque historique et un essai mélancolique et fiévreux sur le Japon contemporain. Le personnage de Jiro Horikishi incarne la fusion de deux personnages historiques : d’une part le poète et écrivain japonais Tatsuo Hori qui perdit sa femme, atteinte de la tuberculose ; d’autre part, Jiro Horikoshi, ingénieur aéronautique durant la seconde guerre mondiale, à l’origine des avions Zéro utilisés de façon kamikaze au cours de la seconde guerre mondiale. La sortie du film au Japon souleva une levée de bouclier contre une vision trop pacifiste du Japon. Pour autant, le film n’a rien d’un plaidoyer anti-guerre. Le seul rêve de Jiro c’est de créer son avion, ce qu’il deviendra ensuite ne lui appartient pas. Vision sans doute naïve, il n’en demeure pas moins que le film relève d’une véritable ambition de la part de Miyazaki de témoigner sur son époque, celle-là même qui se voit traversée par une terrible crise économique, et qui continue de cicatriser après la catastrophe nucléaire de Fukushima. Si Le Vent se lève s’ancre dans un doux réalisme, c’est l’époque de ses parents et une partie de son enfance que dépeint ici Miyazaki.

Le Vent se lève est ainsi la conjonction de deux folles histoires d’amour par-delà le handicap et au-delà de la maladie : la rencontre de Nahoko à bord d’un train au moment du grand tremblement de terre de Kanto, dans une scène incroyable de grâce, marque le début d’un récit placé sous une épée de Damoclès. Terrassée par la tuberculose, Nahoko, qui ne désire que vivre auprès de l’homme qu’elle aime, est systématiquement éloignée de lui par ce mal qui l’empêche de respirer. Nahoko est la meilleure raison pour Jiro de tourner son regard vers la terre. Cette conjugaison des amours aériens et terriens, Miyazaki la matérialise lors d’une scène poétique : sans prétention, il dessine de là-haut ces deux êtres se tenant la main, l’une s’endormant éreintée par la maladie, l’autre travaillant, le visage figé par la concentration, des volutes de fumée s’envolant gracieusement de sa cigarette.

Toujours accompagné de la musique salvatrice de Joe Hisaishi, Jiro, grand idéaliste, s’épanouit à travers une époque tumultueuse, devenue avec l’ampleur du temps une période annonciatrice des pires heures du Japon du XXe siècle. Face à ces épisodes épiques de l’histoire du Japon, Miyazaki entrelace d’autres imageries, parmi lesquelles les rêves de Jiro, présentés comme autant de songes colorés mettant en scène les échanges avec Giovanni Caproni autour de la construction de l’avion idéal. Manipulant avec l’habilité qu’on lui connaissait déjà les ressorts du récit, Miyazaki se saisit simultanément du regard tendre de l’enfant et de la gravité de celui de l’adulte pour embarquer avec Jiro jusqu’au firmament.

De là où nous sommes, nous espérons simplement que d’autres nous enverront d’aussi belles promesses depuis le quartier de Mitaka, cœur battant des Studios Ghibli.
cinematraque
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le 24 janv. 2014

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