Quelle claque que ce premier long métrage d'Émir Bayğazin, réalisateur kazakh, sorti en 2014 dans les salles obscures françaises !


Je l'ai découvert totalement par hasard sur Arte (source de bien de mes découvertes cinématographiques) : le thème m'a plu d'emblée (l'entrée dans l'adolescence) et la promesse de découvrir un pays que je connais très très peu : le Kazakhstan.


Le héros, Aslan, n'a que treize ans et déjà pas mal de soucis. D'ailleurs, sa grand mère, qui l'élève seule, le dit : "il ne sourit jamais et a l'air toujours préoccupé".


Déjà, il est orphelin; il vit dans une ferme isolée à la campagne et devient le soufre douleur du caïd de son collège : le jeune Bolat. Un examen médical va précipiter cette situation.
Dés lors, il sera moqué et mis au banc, par l'ensemble des élèves du collège (à de très rares exceptions près).


Il est différent des autres, Aslan : il ne fait pas de sport d'où son aspect malingre, il aime les animaux (même s'il aime torturer les cafards), il aime les sciences et particulièrement la biologie animale.
Mais il va devenir un dur à sa façon, méditant longtemps sa vengeance contre Bolat.


Ce qui m'a frappé dans ce film c'est la violence des relations humaines, infiltrant l’ensemble de la société.
Au début du film, les médecins scolaires n'hésitent pas à employer des méthodes humiliantes, voire à frapper les élèves pour les examiner.
Les jeunes garçons entre eux se rackettent. Toute une hiérarchie existe entre les élèves, avec des rabatteurs, des racketteurs, des chefs de bandes, des grands frères (qu'on ne voit pas, mais qui dirigent les opérations de racket organisé).
La proviseure du collège est très dure.
Les policiers sont d'une extrême brutalité, utilisant la torture physique et psychologique pour faire avouer Aslan et son copain, Mirsayin.


Mirsayin est un nouvel élève, qui vient de la ville, un autre monde pour Aslan qui n'a visiblement pas ou très peu quitté sa campagne profonde. Mirsayin a du mal à entrer dans les coutumes locales; il tente de se révolter contre cette hiérarchie entre les élèves et refuse dans un premier temps de s'y soumettre. Mais la brutalité des chefs de bande aura raison de sa rébellion. Cependant, l'injustice trop criante envers Aslan, qu'il apprécie, va le faire sortit de se gonds.
ça sera alors l'escalade de la violence.


Il faut noter la grande qualité de la photographie, le choix de la quasi absence de couleurs, avec l'omniprésence du blanc (le blanc de la neige, le blanc du mouton qu'Aslan égorge, le blanc des couloirs du collège, le blanc des salles de sciences, le blanc de l’hôpital) qui va de mise avec et la sobriété de la mise en scène.
On ne verra pas le rouge, celui du sang du mouton égorgé, celui des deux meurtres que le réalisateur a choisit de totalement cacher, à travers ces deux ellipses : deux blancs là encore.
Ces choix visent, selon mon interprétation, à montrer le dénuement : une vie dénuée de loisirs, de plaisirs et de confort, des âmes qui paraissent enfermées, pauvres de sentiments.
Même l'arme est blanche ....


Les rêves d'Aslan dans la scène finale, seront tantôt ultra colorés (la salle de jeux), tantôt ultra neutres (le lac impossible à traverser) : métaphore de la contradiction des ambitions cachées de ce pauvre ère devenu criminel ?


Les jeunes acteurs, notamment Timur Aidarbekov, qui interprète avec brio le personnage d'Aslan, sont, je trouve, extraordinairement bien filmés.


On y voit une alternance de gros plans sur leurs visages, montrant de près le contraste évident entre celui fermé, buté mais qu'on sent douloureux d'Aslan, un visage aussi captivant qu'inquiétant, et celui triomphant, souriant et moqueur de Bolat.


Les corps également, sont montrés sans fards, souvent jusque dans leur nudité (scènes de l'examen médical, du match, des douches), dans leurs actions, pour mieux montrer l’intériorité des personnages.


La lenteur aussi est propice au suspens de l'histoire. Le réalisateur prend son temps à montrer la concentration d'Aslan, préparant sa méticuleuse vengeance : ses bricolages experts, ses rituels comme ceux de la douche et du nourrissage de ses lézards, son extrême attention durant les cours. Des scènes qu'on savoure car on est tellement captivé , fasciné par ce personnage qui restera mystérieux jusqu'au dénouement, qu'on ne voit pas le temps passer (enfin, ce fut mon cas ...).

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le 16 mai 2016

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