D'accord: il ne s'agit pas d'une œuvre majeure de Ridley Scott. D'accord: le réalisateur était dans sa période que l'on pourrait nommer «de jeunesse» (qui pourtant nous a aussi offert quelques films exceptionnels). D'accord: c'est «cheesy» à souhait, kitch, mièvre, tout ce que vous voulez. D'accord: l'esthétisme est profondément ancré dans les années '80 et ça n'a pas très bien vieilli. D'accord: la version américaine a été rendue encore plus insipide par le remplacement de la musique de Jerry Goldmsith avec celle de Tangerine Dreams. Enfin, d'accord: au mieux on peut placer se film dans la catégorie «Série B», et encore, on est gentil...
... Et pourtant. Et pourtant quelque-chose fait que «Legend» est un film auquel on finit par revenir: peut-être pas tous les mois, peut-être même pas toutes les années, mais on s'y attache tout de même. Lorsque la question s'est posée, nous n'avions pas hésité une seconde: oui, il entre dans notre cinémathèque, même s'il ne rejoindra pas l'étagère des grands classiques usés jusqu'à l'électron à force d'être vus et revus.
Qu'est-ce qui fait que «Legend» soit ainsi devenu un de ces films «si mauvais qu'ils en deviennent bon», autrement dit un (très modeste) culte? L'âge auquel nous l'avons vu, certainement, car à l'époque ni son montage démoli à la hache (une erreur admise par Ridley Scott lui-même) ni les conséquences de sa production tourmentée, si visibles dans le film, ni la présence d'un acteur que j'abhorre autrement (Tom Cruise pour ne pas le nommer) n'ont empêche un sens d'émerveillement et de fascination. Si l'on se replonge dans la moitié des Années '80, en effet, de tels films représentaient alors un certain sommet de ce qui se faisait dans le fantastique. Les passionné-es du genre et adeptes des effets spéciaux en avaient donc de quoi se mettre plein les mirettes.
Mais deux aspects de «Legend» ont certainement contribué au fait que, contrairement à tant d'autres films du même genre et de la même époque, il est encore regardable et regardé aujourd'hui, fût-ce avec un léger sens de culpabilité. D'une part, son esthétique: Ridley Scott a souvent affirmé avoir «un très bon œil», et si ce manque de modestie peut surprendre de la part d'un Britannique, il en reste pas moins le fait qu'il a parfaitement raison. Le réalisateur aux 5 films parfaits (à ce jour) a en effet un très, très bon œil et la photographie nous offre des compositions sublimes par moments. Si elles restent marquées par les Années '80, est-ce pour autant un mal?
D'autre part, l'élément central qui a maintenu «Legend» hors de l'oubli ce dernier quart de siècle ce n'est ni l'histoire, assez légère, ni les acteurs principaux, plutôt blets, mais bel et bien le méchant de l'histoire. Darkness, le démon superbement interprété par Tim Curry, est dès son apparition un personnage inoubliable, et il reste une référence visuelle à ce jour pour tout diable qui se voudrait digne d'un minimum de respect au cinéma ou sur scène.
Ce qui ne fait que confirmer ma théorie: c'est souvent le personnage du méchant qui peut faire ou défaire un film. D'ailleurs, j'avais initialement attribué 5 étoiles au film: c'est en repensant à Darkness, et seulement à lui, que j'en ai ajouté une sixième.