À sa sortie, le film ne me disait pas plus que ça. Je ne sais pas pourquoi, pourtant Django Unchained m'avait déjà beaucoup plus, mais j'ai décidé de ne pas aller le voir au cinéma, ce n'est donc que maintenant que je découvre Les 8 Salopards, et en VO, bien sûr.


Et quel film... en fait, je pense que c'est clairement l'un des meilleurs si ce n'est le plus abouti de Tarantino. Non parce qu'en fait, Tarantino se démarque principalement par ses qualités de dialoguistes, et de la manière dont il met en scène la relation des personnages entre eux. Clairement les explosions de violences si cher à Tarantino donnent parfois une impression d'écriture peu subtile, ce qui est tout le contraire bien sûr. J'avais déjà aimé les scènes presque magistrales de discussions longues mais intenses d'Inglorious Basterds, avec la scène d'intro ou la scène dans la taverne avec les officiers nazi. Cette manière de jouer sur les dialogues permettaient vraiment de mythifier les personages et de les rendre attachants (en tout cas, de leur donner du relief). Il y avait ce genre de scènes aussi dans Django, avec le dîner, un peu moins dans d'autres de ces films.
Et c'est ça que j'aime avec Tarantino : l'immersion. Avec chacun de ses personnages, on rentre réellement dans l'histoire, voire leur psychologie, et avec L8S, Tarantino montre qu'il a totalement assimilé l'art de l'acting et de l'écriture.


Je ne vais pas refaire part du spitch de départ du film, tout le monde le connait. En fait j'avais juste envie de dire pourquoi L8S avait juste été ultra jouissif pour moi, et pourquoi il est sûrement le Tarantino qui m'a fait le plus rire, mais aussi le plus immergé.


Beaucoup ont fait part de soit disants défauts comme la longitude du film qui se noie dans des phases de dialogues ennuyeuses et inutiles, et dieu sait que je suis en total désaccord avec ça. Même moi qui partait d'un a priori négatif, parce que je pensais que justement, ce film allait être ennuyeux, je me suis retrouvé à être immergé dès la première scène, et ce même si le premier chapitre dans la diligence est plutôt long. Mais faisons part de la thèse dès maintenant : c'est la relation entre Mannix et Warren qui m'a, personnellement, le plus plu. Et au-delà du personnellement, je pense que c'est aussi sur cette relation que repose le film, contrairement à ce qu'a affirmé le marketing du film.


Je repose le contexte, et par là-même je commencerai donc par une pseudo-critique : « détestez les tous ! ». Clairement, l'intention de départ était de nous poser 8 salopards tous autant détestables les uns que les autres, mais justement, on se rend vite compte que le film ne laisse d'autre choix que de s'attacher à certains personnages, comme Warren, avec qui le spectateur sera obligatoirement plus proche que les autres. En effet, il joue justement le rôle de celui qui ne fait pas partie de la conspiration, mais surtout, il est celui qui va, en quelque sorte « enquêter » sur les divers éléments qui ne tournent pas rond dans le chalet (dès qu'il arrive, on voit qu'il se pose des questions sur le bonbon par terre et le pot manquant, directement, on voit qu'il ne peut faire partie de la conspiration). De plus, il est aussi le premier personnage que l'on voit, mine de rien, ça joue. Donc forcément, Warren est le personnage dont le spectateur ne peut qu'être proche, au-delà de l'appréciation personnelle, il est là pour réguler et donner des repères au spectateur (ça fait beaucoup de "spectateurs"), qui effectivement ne peut que très peu faire confiance aux autres personnages.
À partir de là, la volonté de nous les faire tous réellement détester est plutôt ratée, d'autant qu'il y a un élément important : tous les personnages ici présents sont des salopards, effectivement, même si plus ou moins, mais justement, Tarantino se fait piéger à son propre jeu ici puisqu'il n'y a QUE des salopards. Le spectateur n'a donc pas d'élément de comparaison pour mettre en valeur et identifier cette « saloperie ». On se noie dans un océan de saloperie, pour nous donc, tout ce racisme et cette violence nous paraît tout à fait normaux, banalisés.


Alors je ne sais pas si c'est réellement la volonté de Tarantino de nous présenter le film comme ça, ou si c'était plutôt le marketing, mais comme le hasard pour le coup a bien fait les choses, cette erreur sert en réalité carrément le film. Comme je disais donc, le film repose sur des dialogues et tout un tas de jeu d'acting, et finalement sur le duo Warren-Mannix.


Je m'explique : tout le long du film, on nous présente certes la relation Daisy-John, mais elle n'est que prétexte, la vraie relation mise en place dans le premier chapitre est celle de Marnix-Warren; Dès le début, on nous présente deux personnages que tout oppose : l'un noir, l'autre raciste, ils ont deux parcours différents et semblent donc bien partis pour se détester. J'ai cru au début que le film, lors de sa future et certaine explosion de violence comporterait une scène où toute la haine de Mannix pour le « noir » et de Warren pour le raciste allait pouvoir s'extérioriser. Et oui, dans un Tarantino classique, c'est comme ça que les choses se seraient déroulées. Mais ici, le film joue sur cette relation très subtilement, avec un conflit latent et sous-jacent très présent entre les deux personnages. Et à la fin, voilà tout : les deux finissent par s'allier !
Bon, avec la scène où Mannix et Warren pointent de leur arme les trois autres (qui sont en fait un gang), ils s'allient certes, mais il y avait toujours un moment où tout aurait pu se retourner. À partir du moment où Mannix s'allie avec Warren, je le dis franchement, je m'attendais réellement à ce que Warren ayant baissé sa garde, Mannix le flingue un moment ou à un autre. Et ça prend son apogée dans le chapitre final, avec la fameuse longue séquence où Daisy propose un deal à Mannix, qui est, entre autres, de tuer Warren. On voit clairement cette fois que Tarantino joue sur cet animosité entre les deux personnages qu'il a posé tout le long du film pour stresser le spectateur, avec par exemple la scène où Mannix ne donne pas le flingue à Warren et décide de discuter du deal (avec au final un « no deal, tramp » épique qui m'a fait jouir bordel).


Résumons donc, 1
1) dans le chapitre final, Mannix et Warren deviennent littéralement les deux héros du film. Et ça m'étonnerait de savoir que certains n'étaient pas « pour eux » à la fin, parce que tout est fait pour que le spectateur se sente proche de ces deux salopards, qui sont au final beaucoup moins salopards que le gang. D'autant que ces deux là font carrément face au gang, ce sont les deux éléments perturbateurs qui foutent en l'air le plan de la bande à Domergue, et bordel que c'est badass.
2) Tarantino joue sur l'animosité des deux qu'il a posé au début du récit pour ajouter une part de suspens. Mannix peut en effet à tout moment décider de tuer Warren pour sauver sa peau.
Et forcément, ces deux points sont impossible sans poser une relation bien spéciale entre les deux, et pour rendre le deuxième point pertinent, il faut que le premier point soit posé. Ça paraît logique mais admettons que nous détestions effectivement tout le monde, comment on aurait pu ressentir un tant soit peu de suspens dans le chapitre final ?


Les 8 Salopards repose donc sur Mannix et Warren, qui sont les deux héros du films. Et bordel, quel duo. En fait on arrive là à ce qui m'a le plus plu et ce dont je parlais au début de la critique : la manière dont Tarantino joue avec ces personnages et met en scène leurs relations. Tout le film, et donc toutes les phases de dialogues supposément longuettes servent en fait un but final qui est ici le chapitre final où se joue le suspens véritable , où le spectateur n'a pas envie de voir notre duo de héros perdre face au « méchant gang ». Rien n'est fait au hasard, et même l'expression faciale ou la réplique à l'apparence la plus anodine est en fait mis là de façon à ce que cela sert l'atmosphère globale. Et L8S est de ce point de vue pour moi le Tarantino le plus réussi. Le jeu d'acteur n'y est bien évidemment pas étranger, celui m'ayant le plus impressionné étant Walton Gobbins alias Mannix, où chacune de ses répliques sonnent justes et créent un personnage fascinant (toute proportion gardée). D'ailleurs, c'est lui qui me plie à chaque fois que je remate le film. Sérieux, ses répliques sont à pleurer de rire. Je sais que beaucoup ont trouvés ce Tarantino moins drôle que les autres, alors que personnellement au contraire, je trouve que c'est son plus drôle. Mais ici l'humour y est plus subtil, plus distillé dans l'atmosphère. Dans Inglorious Basterds, Django, Pulp Fiction ou même Reservoir Dogs, les scènes d'humour sont explicites. Drôles, mais explicites. Ici, c'est dans les détails et la manière dont Tarantino construit la structure de son récit, et la manière dont il écrit ses personnages que l'humour est distillé. La scène où Mannix et Warren pointe le gang à la fin du chapitre 3 me tue parce que Mannix donne des petites expressions faciales et des petites répliques juste jouissives.
Je reprends l'exemple de cette scène, dans celle-ci, Warren découvre petit à petit la conspiration, ce qui est tout à fait jouissif pour le spectateur qui commence, tout comme nos deux héros, à y voir clair dans l'histoire, et ici, Mannix, en retrait, parle en quelque sorte, pour le spectateur. Mannix est comme le spectateur : il observe Warren mettre en lumière la conspiration et comme le spectateur, il prend ses aises car il commence à comprendre ; et ses réactions sont personnellement exactement les mêmes que j'avais quand je regardais le film : quand Warren informe Bob de la pancarte qui interdisait aux mexicains d'arriver ici, et qu'on comprend que Bob est définitivement un menteur, Mannix nous offre un rire de moquerie et de satisfaction assez drôle mais qui est aussi en fait exactement le même que j'avais envie de sortir quand j'ai vu le film. Je ne vais pas faire toutes ses réactions, mais c'est de même avec toutes ses réactions.
Certains diront que je vais un peu loin, mais en fait, c'est carrément ce que j'ai ressenti en regardant le film. La structure narrative a fait que j'étais plus que jamais immergé dans la séquence, qui est ma préférée du film.


En ce sens donc Les 8 Salopards ne tient pas sa promesse de nous proposer une histoire où tous les personnages sont détestables, mais heureusement finalement. Les 8 Salopards, c'est un film d'enquête, puisque le présupposé est que c'est un film de conspiration, principe de ce huit-clos ; mais cette enquête n'est pas une enquête où le sujet (le spectateur) est en distance avec les éléments du films, cette enquête est médiatisée par un personnage du film (en l'occurence Warren). Globalement, les personnages sont tous bons, bien que certains soient plutôt inutiles (petite déception pour le personnage de Madsen, qui pour le coup est presque inutile), mais le film peut à petit en met deux plus en avant, pour le besoin du suspens et des enjeux. On a donc une narration qui pose des éléments qui trouvent tous leur interdépendance et qui finissent par converger dans le chapitre final. L8S, c'est peut-être le scénario (et j'entends par là dans son sens premier, c'est-à-dire la trame, mais aussi les dialogues et autres détails, pas juste l'« histoire ») le plus abouti de Tarantino, tant il maîtrise ses personnages et les détails de narration (expressions faciales, dialogues...). La relation Warren-Mannix est excellente et juste ultra badass. Voire ces deux ennemis s'allier contre d'autres salopards est kiffant. Ah oui, les musiques de Morricone sont excellentes aussi.


L'un des meilleurs Tarantino qui ne souffre pas de longueurs, mais qui au contraire pose des éléments qui servent le récit global.

Uldryn
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le 10 juin 2016

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