Petit aparté : j'ai vu la version 70mm (version longue) : c'est un poil longuet (d'ailleurs même la version courte est un peu longue), mais elle fonctionne mieux. Il y a aussi des scènes qui préparent d’autres scènes plus tard qui sont indispensables à mon sens (le poulet plumé, par exemple) , et je trouve dommage de les avoir supprimées (Enfin Tarantino voulait promouvoir sa copie 70mm). Copie 70mm qui est sans comparaison avec la version numérique, tellement plus terne (et fatalement, moins définie ^^). Au passage ceux qui trouvent ridicule d’utiliser le 70mm pour un film qui se passe à 95% dans une cabine de diligence et dans une grande cabane n’ont clairement pas vu le film, parce que le cadre est parfaitement exploité. On peut voir la quasi-totalité des personnages dans un même plan et Tarantino l’utilise brillamment.
Un chasseur de primes (John Ruth, joué par Kurt Russel) cherche à ramener vivante une criminelle (Daisy Domergue, jouée par Jennifer Jason Lee) dont la tête est mise à prix, mais un blizzard le force à se réfugier dans un refuge de montagne, en récupérant sur la route un autre chasseur de primes (le Major Marquis Warren, joué par Samuel L Jackson) et un ancien renégat sudiste (Chris Mannix, joué par Walton Goggins) qui soutient qu’il est le nouveau sheriff de la ville où Daisy Domergue devra être pendue. Dans le refuge se trouvent déjà Bob le Mexicain (Demian Bichir) qui gère le refuge en l’absence des propriétaires, du bourreau anglais –plus anglais tu meurs– de la région (Osvaldo Mobray, joué par Tim Roth), d’un cow-boy peu aimable (Joe Gage, joué par Michael Madsen), le général confédéré Sandford Smithers (Bruce Dern).


Le film en lui-même est composé de deux grandes parties :



  • Une première où les 8 personnages s’examinent, s’observent, cherchent à dénicher la vérité derrière les couches de mensonges (car il y en a, aucun de ces personnages ne joue franc jeu, et tous sont à divers degrés des connards haineux qui se dissimulent derrière une fine pellicule de civilité), jouent avec leurs masques. Un jeu de poker menteur où la tension monte lentement (un peu lentement d’ailleurs. Si on n’aime pas les dialogues de Tarantino d'ailleurs, on va mourir pendant cette première heure et demie : c'est probablement le plus bavard de ses films...). Cette première partie se termine sur le premier coup de feu

  • Une seconde partie très sanglante qui mélangera le film d’enquête à la Agatha Christie (une sorte de 10 petits nègres dans le far west), le cluedo (

    le chasseur de prime, dans la salle commune, avec le café empoisonné



) la fusillade, le film d’horreur, la comédie macabre…


Le film met en présence 8 personnages dont l’histoire n’est pas vraiment révélée et certains ont des rapports secrets. Il se déroule quelques années après la guerre de sécession et l’époque choisie est propice à créer de la tension car un des personnages est noir et ce qui s’est passé pendant la guerre va être évoqué à de nombreux moments et va infuser la tension dans l’assemblée.

Cela permettra également à Tarantino d’explorer les problématiques raciales de l’époque, tout en parlant de la nôtre en termes pas tellement couverts. Les phrases sur les rapports Noirs/Blancs, sur la justice sont clairement applicables à l’Amérique de 2015. Le lieu unique où se passera l’action est même une métaphore de l’Amérique (ceci est formalisé clairement à un moment du film), et Tarantino y postule que l’Amérique s’est construite aux prix de nombreux mensonges, de nombreux crimes et d’une réconciliation utopique mais fondamentalement viciée. C’est très très noir, mais le film finit avec une sorte de note d’espoir complètement tordue et perverse, même en sachant qu’elle est basée sur un mensonge gros comme ça (la lettre de Lincoln). Mais quand je parle d’espoir, soyons honnêtes, on finit quand même avec un noir et le pire raciste possible qui semblent trouver un terrain d’entente et se bidonnent pendant qu'ils pendent une femme (d’ailleurs, cette femme qui sert de punching ball humain pendant la quasi-totalité du film, c’est assez insoutenable. Quand je vois des gens qui rient à chaque pain qu’elle se prend, je perds espoir en l’espèce humaine - idem pour les spectateurs qui rient à chaque "nigger" )
Le film est souvent drôle mais c’est clairement l’œuvre la plus sombre de Tarantino, celle où il se cache le moins derrière le cache-sexe du pastiche, de l’hommage. C’est aussi marquant de voir qu’après deux films historiques révisionnistes où il tentait de réparer les horreurs de l’histoire, Tarantino cette fois-ci regarde l’Histoire en face.


Bon, bien sûr, les acteurs sont fabuleux, ça va sans dire. C’est un peu le Samuel L Jackson Show par moments, mais soyons honnêtes, c’est un show qu’on regarderait tous ! Et le reste du casting ne démérite pas (à part peut-être Madsen qui joue vraiment le cow-boy rugueux de manière un peu mécanique). Mention spéciale à Goggins qui réussit à faire d’un bouffon racisteun personnage complexe à la fin et Tim Roth avec son double rôle (son personnage d’anglais excentrique du début et sa vraie personnalité) . Et surtout Jennifer Jason Leigh qui est a-ma-zing. À la fois bouffonne hilarante (les têtes qu’elle fait !) , sorcière monstrueuse et inhumaine (à la fin quand elle est recouverte de sang à la Carrie, édentée et vociférante) Elle a un rôle tout sauf facile : toute la première partie est encore plus jouissive quand on sait qu’elle connait tous les gens dans le refuge et elle joue sur les deux tableaux parfaitement, et elle permet de donner du corps à un personnage qui s’en prend plein la tête (coups, sang, vomi, cervelle) pendant la totalité du film. J’ai beaucoup aimé qu’une partie du casting soit resté secret (Zoë Bell ! Channing Tatum !!) Les dialogues sont excellents, les personnages sont très très bien écrits (tous sont des abominables connards, mais tous ont au moins un moment où ce qu’ils disent est sensé, presque respectable et nous fait prendre une seconde de recul).
La forme est somptueuse et maitrisée, la mise en scène au cordeau. Musique parfaite de Morricone (même si une bonne partie provient des chutes de The Thing apparemment) . Un très grand Tarantino

Benjicoq
9
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le 13 janv. 2016

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Benjicoq

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