« On pourrait croire que c’est la haine… mais c’est l’amour qui m’a
fait devenir anarchiste. »




Très belle photographie



dès l’ouverture avec un long plan au plus près de la belle héroïne.


Jean Albertini, jeune flic de Villeurbanne, faux naïf, infiltre un groupe anarchiste en intégrant, ouvrier anonyme, la clouterie d’un faubourg parisien de la fin du XIXème siècle. Quelques belles scènes ouvrières soulignent alors



le décor de la révolution industrielle :



machines-outils, travail dans la fureur et le bruit, grisaille et abrutissement. Une courte partie du film s’attache à cette immersion historique en suivant de loin les rencontres du personnage au sein de cet univers, entre espoir d’une vie meilleure, révoltes et soumissions. Sorties d’usine, réunions politiques publiques au café, soirées libertines et poétiques. Bientôt, un dialogue aborde la représentativité, l’utilité d’un vote dévoyé par une oligarchie au service des grands intérêts industriels. Fait écho à de nombreuses questions toujours d’actualité plus d’un siècle après.



« Les lois protègent les riches et tuent les pauvres. »



Lyrisme et romantisme, tous les atours un peu cliché d’un XIXème lumineux scintillent là dans le sacrifice héroïque d’ouvriers à une cause universelle, dans la vision liée des hommes et des femmes anonymes qui font les richesses du monde. Costumes et décors font l’illusion spectaculaire tandis que la photographie y saisit une beauté prolétaire sublimée par une vision abreuvée des lumières du romantisme. Il y a plus de douceur ici que ce à quoi je m’attendais.


Tahar Rahim porte bien la moustache, autant que ce qu’on lui laisse investir dans le rôle, tandis qu’Adèle Exarchopoulos est aussi belle en haut-de-forme que mal dirigée : absorbé par l’esthétique de son œuvre, le metteur en scène semble avoir oublié de ciseler les dialogues à l’époque pour nous donner à entendre le monde moderne et, dans ce laisser faire improbable, c’est Swann Arlaud qui subjugue en idéologiste rêveur, poète enragé et engagé d’un groupe d’indignés perdus entre la théorie et l’action. Manipulés de par leur naïveté commune.
Des amitiés se tissent, l’amour naît.
Mais en terme de subversion, Les Anarchistes reste un film léger et la trame revendicatrice ou sociologique d’un mouvement révolutionnaire ne sert que de toile de fond à



un polar sans suspense.



Entre sentiments humains exacerbés dans la vie communautaire et cambriolages anecdotiques, le groupe d’activistes manque cruellement d’engagement, et le film de propos.



« Le monde périra dans l’allégresse des gens qui penseront qu’il
s’agit d’une plaisanterie. »



C’est là l’un des trop rares éveils de conscience dans un film qui décrit en partie l’abandon de ces mêmes personnages aux essentielles futilités animales de l’existence, amours et passions, dans un film qui finit par ne se résumer, tant les intrigues sociologique et policière sont lisses, qu’à



l’aventureux trio amoureux central,



aux conséquences inévitablement dramatiques.


Jean et Judith s’aiment dans la révolte, dans la parenthèse d’un moment truqué, et le réalisateur peint les anarchistes comme des bobos errants, perdus par l’oisiveté plutôt que leurs espoirs, leurs actes ou leurs utopies forgées dans la misère de l’avilissement d’un travail dont ils ne récoltent jamais les fruits, esclaves du petit pourcentage qui spolie la majorité des hommes.



De grands mots mais de petites idées



émaillées sur un discours de fond atrocement plat, Elie Wajeman signe, avec l’aide d’une belle équipe technique, un film à l’esthétique enchanteresse, aux promesses d’intelligence, pour finalement ne nous servir qu’une énième et banale romance sépia aux couleurs pastels passées.


Rien d’anarchique n’apparaît, rien de révoltant n’est illustré, rien de révolutionnaire n’est envisagé, encore moins promis à l’avènement. Tout se résume aux jeux de l’amour et du cœur par-dessus la raison, à quelques emportements de passions politiques, et au dénouement prévisible et inéluctable d’une situation trop imparfaite pour apporter le bonheur, trop fragile et trop déséquilibrée pour faire naître même les germes de l’utopie.


Grande déception avec cette duperie du titre.

Créée

le 6 juin 2016

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