Premiers plans, un bateau à roues à aubes s'enlisant dans les marécages, une atmosphère lugubre, soudain une porte s'ouvre, une petite fille marche à petit pas, regarde derrière elle si on ne la suit pas, qui est-elle? Que craint-elle? Que fait-elle là? Deux crocodiles observent la scène en silence jusqu'à ce que la gamine envoie un message de détresse dans une bouteille sans même essayer de fuir. Un voyage du récipient jusqu'à la terre ferme résumé par des peintures, aucun mouvement, des images fixes et un air musical désespéré pour les accompagner. À l'opposé du prudent Robin des Bois, Les Aventures de Bernard et Bianca signale qu'il va sortir de la zone de confort des Studios Disney, plonger dans une réalité plus dure paradoxalement au moment où la firme est au plus bas.


C'est dans un grand étonnement que l'on remarque qu'aucun regard n'est porté sur le monde humain du point de vue des souris si ce n'est une vision froide. Les quelques figurants sont dessinés de façon assez réaliste, jamais près des visages, la caméra veut les éviter et partager les activités des rongeurs, réunis en une organisation internationale se mêlant des affaires d'en haut. On devine que leur société avance au même rythme que celle au-dessus de leurs têtes (la place de la femme rapidement évoquée) mais ces petites bêtes sont rassurantes. Elles ne font pas l'objet d'une blague, elles croient juste en leur cause humanitaire et sont la lueur d'espoir entraperçue sur un globe grisâtre.


La justesse avec laquelle Wolfgang Reitherman, Art Stevens et John Lounsbery dépeignent ces héros du quotidien est inhabituelle, le duo formé par Bernard et Bianca étant improvisé, n'ayant pas de passé et restant toujours solidaire peu importe le contexte. Les deux souris sont la parfaite contrebalance à cette ambiance cafardeuse, pouvant être écrasés par n'importe quel élément du décor mais enquêtant avec motivation et optimisme.


Même en rencontrant des personnages hauts en couleurs tels le très drôle Orville, albatros raté qui préfigurerait presque un certain Flagada Jones, nos compères gardent pour seule priorité la mission, rien ne détourne l'attention de l'objectif principal, arracher une orpheline des griffes de la maniaque Médusa (dont l'inconscience au volant et l'hystérie ont sûrement été héritées de Cruella d'Enfer, la méchante des 101 Dalmatiens devant à la base être l'antagoniste du film). Celle-ci peut souffrir du manque d'originalité dans son écriture mais mélange génialement le symbole de pouvoir sur la petite et la cinglée hilarante (ses acolytes la redoutant, reptiliens apprivoisés compris).


L'exercice est risqué, inclure du comique dans un film clairement plus sombre que la majorité du catalogue Disney (l'exploration dans la grotte où le danger de mort est réel) mais l'essai fonctionne puisque l'humour ne provient que des oppositions de caractères entre les animaux ou des affrontements exagérés avec les kidnappeurs (la chasse improbable avec Néron et Brutus). Le métrage est donc équilibré et réussit à dégager une émotion forte comme les studios n'en avaient plus offert depuis des années.


L'histoire est grave, triste, avec beaucoup d'instants chagrinants et son pari d'y joindre de la chaleur et du réconfort à travers ces minuscules êtres vivants est remporté haut la main. Nous croyons en de meilleurs jours car eux y croient. Et ils sont probablement la raison majeure qui a poussé les spectateurs à se déplacer en nombre dans les salles de cinéma.


Le public y a vu un film plus évocateur, plus en accord avec les faits de la vie de tous les jours et en connexion avec ce que peuvent ressentir leurs enfants que les précédentes productions familiales. Et pourtant, malgré son succès imprévu, Les Aventures de Bernard et Bianca va définitivement clôturer l'Âge d'Or de Disney, étant leur dernière oeuvre rentable avant plusieurs années et le signe du renouvellement du département d'animation. Il est temps de repartir sur de nouvelles voies et elles ne seront pas de tout repos.

Walter-Mouse
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les Classiques Disney, Ma collection DVD/Blu-Ray, Walt Disney Studios de 1977 à 1979 et Films vus et commentés en 2018

Créée

le 21 févr. 2018

Critique lue 664 fois

16 j'aime

7 commentaires

Walter-Mouse

Écrit par

Critique lue 664 fois

16
7

D'autres avis sur Les Aventures de Bernard et Bianca

Les Aventures de Bernard et Bianca
Fatpooper
10

Bianca, un nouveau fantasme pour ma déviance sexuelle

Waouw! En voilà un bon vieux Disney. Bon on pourra certainement tiquer sur la superficialité du film autant que remettre en doute certains messages balancés, mais ça reste un sacré bon...

le 4 mars 2013

23 j'aime

5

Les Aventures de Bernard et Bianca
Tonto
8

"La belle et le concierge, miséricorde, quelle époque !"

Ayant découvert un message d’appel à l’aide dans une bouteille jetée à la mer, la SOS Société, communauté internationale de souris, envoie deux de ses membres, Bernard et Bianca, sauver la jeune...

le 7 mai 2018

18 j'aime

12

Les Aventures de Bernard et Bianca
Walter-Mouse
8

A Better Tomorrow

Premiers plans, un bateau à roues à aubes s'enlisant dans les marécages, une atmosphère lugubre, soudain une porte s'ouvre, une petite fille marche à petit pas, regarde derrière elle si on ne la suit...

le 21 févr. 2018

16 j'aime

7

Du même critique

Star Wars - Les Derniers Jedi
Walter-Mouse
7

Girouette

Conséquence inévitable de la fermeture brusque de l'Épisode VII, Les Derniers Jedi s'ouvre sur un texte défilant dont le contenu est à peu de choses près exactement le même que celui du Réveil de la...

le 14 déc. 2017

197 j'aime

50

Solo - A Star Wars Story
Walter-Mouse
5

Qui a éteint la lumière?

Légère entorse à la règle. Kathleen Kennedy rompt temporairement sa promesse de ne lancer des films indépendants dérivés de l'univers Star Wars qu'à partir de sujets originaux pour consacrer son...

le 23 mai 2018

127 j'aime

28

Coco
Walter-Mouse
9

Ce n'est qu'un au revoir

Coco pourrait très bien marquer un tournant dans l'histoire de Pixar. Jusqu'à présent, le studio de Luxo Jr. s'était toujours spécialisé dans les œuvres contemporaines au regard porté sur l'avenir et...

le 26 nov. 2017

111 j'aime

6