Deux ans après la Fureur de vivre de Nicholas Ray, et un an avant Les quatre cents coups de François Truffaut, Yasuzo Masumura se lançait dans le cinéma en réalisant un premier film, Kuchizuke (le nom sonne plus classe en japonais qu'en français quand même). Je cite évidemment les deux premiers films à escient vu que le film de Masumura surfe entre les deux, pour le meilleur et le moins bon.
De Ray, Masumura retient l'énergie des personnages, qui supplantent totalement le scénario quasi inexistant. Si en filigrane, Kuchizuke est assez politique (le père en prison à cause des élections, la jeune fille se sert de son corps pour gagner de l'argent pour aider ses parents), le film est avant tout le portrait d'une génération qui cherche l'insouciance, marquée par une véritable rupture avec la génération de leurs parents (Kinichi a été abandonné par sa mère, Akiko veut être honnête contrairement à son père, Kazuhiko profite de l'argent de son père). On retrouve aussi cet art de filmer un couple attachant, le fougueux Hiroshi Kawaguchi (qui imite plus d'une fois James Dean) et la très belle Hitomi Nozoe - un couple à l'écran qui deviendra un couple à la ville plus tard.
De Truffaut, ou plutôt du néoréalisme qui inspirera Truffaut (pas étonnant quand on sait que Masumura a étudié en Italie au début des années 50 avec Antonioni, Fellini et Visconti), le cinéaste japonais garde cette envie de tourner en décors naturels, hors studios, de filmer le quotidien des gens en toile de fond, et d'aller le plus loin possible dans cette volonté de rompre avec les maîtres du cinéma japonais classique d'alors.
D'où les limites du film, du coup. A trop vouloir faire "moderne", le film a pris un coup de vieux, et délaissant l'histoire au profit d'un flux d'émotions diverses, Kuchizuke souffre de ses 60 bougies dépassées. Rien d'horrible non plus, la mise en scène accusant moins les affres du temps que beaucoup de films de cette veine "néo", et les émotions abordées étant somme toute universelles. C'est juste que le film appartient définitivement à une autre époque, et que le problème des films "nouvelle vague", quels qu'ils soient, est que leur impact est nécessairement moindre qu'à l'époque de leur sortie. La contestation cinématographique ne dure qu'un temps, et Kuchizuke possède certes plusieurs qualités, mais pas assez pour vieillir sans dommages.
Reste une curiosité sympathique car assez courte, comme Truffaut à nouveau, avec cette même plus-value de servir de point de repère à quiconque s'intéresse à l'histoire du cinéma japonais. Pas forcément tout public, donc.