Vu il y a une pelletée d'années, j'avais le souvenir lointain d'un film lent. Est-ce l'âge? Mais je n'ai plus trop cette sensation aujourd'hui, bien que le film prenne son temps à suivre le rythme des hommes et de la nature, un peu au fil de l'eau ou au gré du vent sur le sable du désert.

Très contemplatif, Bernard Giraudeau aime à montrer l'Afrique telle qu'il la sent. D'aucuns diraient telle qu'il la fantasme. Langueur, sensualité, aventure et puissance semblent être les maîtres mots que l'acteur, cinéaste pour l'occasion, essaie de traduire par l'image et le jeu. En tout cas, le film apparaît très personnel. Tout tourne autour d'un personnage, Jean-François de La Plaine, que Bernard Giraudeau incarne avec un grand sérieux. Peut-être un peu trop sérieux d'ailleurs?

J'ai du mal avec ce film à savoir si j'aime ou pas. C'est curieux, hein? Ça ne m'arrive que très rarement. Sentiment désagréable. Une espèce d'irrésolution poisseuse. Oui, ça colle à la vision que l'on a du film et on ne sait pas pourquoi. Bref, je ne sais que penser ni même ressentir de ce film.

Je ne me suis pas ennuyé, mais je n'ai pas eu le moindre pétillement, ni dans le cœur, ni dans les yeux. Certaines images sont belles, mais il y manque un je-ne-sais-quoi. Peut-être ces belles jeunes femmes élégantes ou ces bateaux qui glissent à l'horizon sur des éclats de mer paraissent-elles un brin froides, voire un peu factices? Comme des images d'Epinal, trimbalant leurs stéréotypes plus ou moins avouables.

J'ai été également dérangé sur la fin par la tournure que prend la relation entre Jean-François de La Plaine et sa fille adoptive (Aissatou Sow). Pour le coup, c'est bien plus clairement que je la trouve inappropriée, en totale contradiction avec le discours humaniste du film, ce regard respectueux qu'il me semblait avoir lu jusque là. D'ailleurs, à ce propos, on peut s'interroger finalement, oui, sur la vision plutôt atone du film à propos de la présence coloniale française. Certes, il montre toutes les facettes du racisme, de l'impérialisme européen, mais il voudrait également faire surgir des Lumières et de la Révolution française l’esprit de tolérance et d'ouverture qui présidera plus tard à l'émancipation de l'Afrique, ce qui me parait un raccourci pour le moins périlleux, notamment au regard du racisme de certains philosophes dits éclairés et éclairants. Passons, cela peut être considéré comme un détail. M'enfin, je suppose que certains seront tout de même choqués par cet aménagement fictionnel de la réalité historique. Si bien qu'on a un film très édulcoré, le cul un peu entre deux chaises, position inconfortable pour tout le monde. Bon, pourquoi pas au fond essayer d'imaginer un passé rêvé, s'il est censé éveiller en notre présent une pensée plus universaliste et englobante? Personnellement, je trouve cela un peu trop naïf, et donc contre-productif.

C'est dommage, certains comédiens sont pas mauvais du tout. Thierry Frémont a un petit rôle, mais il m'a bien plu. Très propre. J'ai bien aimé Raoul Billerey également.

On sent le grand soin qu'on a pris aussi à reconstituer une atmosphère, des décors et des personnages de l'époque. C'est parfois très beau, comme je disais plus haut. Cette qualité formelle est indéniable et confère à tout le film une belle stature. Sur le fond, je ne suis davantage perplexe comme je disais plus haut. Néanmoins, je n'ai pas envie de fustiger l'ensemble. Je peux tout à fait comprendre qu'on aime ce film. Les intentions sont manifestement louables.
Alligator
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le 9 oct. 2014

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