LES CHEVALIERS BLANCS a été présenté en première projection publique au Festival du Film Francophone d’Angoulême en août dernier, en présence du réalisateur Joachim Lafosse et des acteurs Vincent Lindon et Louise Bourgoin. Le réalisateur nous a dit s’être emparé de ce sujet en or car « il y voyait quelque chose de terriblement romanesque qui incite à la réflexion ».


Cette histoire vraie des « Zozos de l’Arche de Zoé », pourtant invraisemblable, s’est produite en 2007 et a été un véritable imbroglio diplomatique. Cela s’est soldé par la condamnation des deux instigateurs « bricoleurs de l’humanitaire« , Eric Breteau et Emilie Lelouch, reconnus coupables « d’escroquerie au préjudice de familles qui comptaient accueillir des enfants en France et d’exercice illicite de l’activité d’intermédiaire à l’adoption« .


Trois personnes ont collaboré au scénario (adapté du livre « Sarkozy dans l’avion- les zozos de la Françafrique » co-écrit par François Xavier Pinte, pilote dans l’affaire de l’Arche de Zoé, et le journaliste Geoffroy D’Ursel) : Joachim Lafosse, l’incontournable Thomas Bidegain (Les Cowboys, Dheepan), et Thomas Van Zuylen. Ce dernier avait rencontré Lafosse (dont A perdre la raison avait marqué les esprits en 2012) à l’occasion du tournage de Crimes d’artistes, documentaire qui interrogeait des réalisateurs de films inspirés de faits divers, sur leur rapport à la fiction.


Autant vous le dire de suite, LES CHEVALIERS BLANCS relève tout à fait le défi de l’adaptation de l’histoire vraie et tient parfaitement la route. Par une mise en scène dynamique et une montée en puissance jusqu’à l’ultime arrestation, le film nous tient en haleine jusqu’au bout ! Il nous embarque dans l’aventure au plus près de cette équipe d’humanitaires, menée par Jacques Arnaul (Vincent Lindon), aux côtés de sa compagne Laura (Louise Bourgoin, qui confirme son potentiel dramatique apprécié dans Je suis un soldat).


Joachim Lafosse nous donne à voir avec habileté trois niveaux de lecture de son film. Il s’accroche d’abord aux pas de Jacques et de son équipe, nous faisant partager leur idéal humanitaire. Il y dépeint parfaitement les difficultés de leurs conditions de vie en quasi huis clos dans une zone de guerre sensible en plein milieu du désert, dont la lumière est magnifiquement filmée. Il relate alors avec précision leurs désaccords, leurs tensions et la désolidarisation de certains membres qui découvrent peu à peu la vérité. LES CHEVALIERS BLANCS met aussi en scène les rencontres et les négociations financières, sous couvert d’humanitaire, avec les chefs de village et les populations, ainsi que les conversations téléphoniques émouvantes avec les parents adoptant en France.
Enfin, pour nous permettre, à nous spectateurs, de prendre de la distance par rapport à Jacques et de conserver un regard objectif, il nous offre le point de vue de deux personnages extérieurs à l’alibi humanitaire : la journaliste Françoise (Valérie Donzelli, toute en justesse et retenue) et le pilote Xavier (Reda Kateb, qui apporte, comme à son habitude, une grande intensité à son personnage). Nous verrons à quel point il sera difficile pour ces deux passeurs de ne pas s’impliquer et de gérer leurs émotions face aux événements.


Car d’émotions il est évidemment question dans LES CHEVALIERS BLANCS. Bien que n’éprouvant aucune empathie pour ce personnage, nous sommes bouleversés par ce fiasco humanitaire. Nous avons ressenti beaucoup de colère devant tant de mensonges, d’absence de déontologie et de doute, de mauvaise foi, de narcissisme, d’orgueil, de déni, de sentiment de toute puissance, d’incompétence et de transgression consciente de la loi. A ce titre, le film est plutôt dérangeant car nous sommes conscients qu’il ne s’agit pas que d’une fiction. Nous avons aussi éprouvé de la peur et de l’angoisse face aux risques encourus par les membres de l’équipe, que le réalisateur a su rendre attachants, sauf celui de la compagne de Jacques. Mais aussi pour la journaliste embarquée dans cette aventure bien malgré elle. Et bien entendu nous avons eu le cœur serré face à certaines scènes bouleversantes avec les enfants.


La progression dans le scénario montre précisément toutes les étapes de l’errement et de l’enfermement de Jacques dans les mensonges, ainsi que l’incongruité et l’extravagance des situations dans lesquelles il entraîne son équipe. Nous voyons Jacques composer à flux tendus entre son ambitieux et présomptueux projet, l’engagement qu’il a pris auprès de parents impatients en désir d’enfants, la confrontation avec la réalité crue et l’absence d’enfants orphelins et l’idée de la représentation qu’il se fait d’un chef de mission.


Joachim Lafosse a habilement bien pris soin de ne porter aucun jugement sur cet homme complexe atteint de l’énigmatique syndrome du sauveteur, totalement habité par Vincent Lindon. Jamais il ne l’excuse ni ne montre qu’il l’a compris mais il l’observe, tel un documentariste. Comme dans A l’Origine de Xavier Giannoli ou L’Adversaire de Nicole Garcia qui avaient déjà abordé cette notion du mensonge et du déni, LES CHEVALIERS BLANCS pose ainsi la question de la capacité pour un menteur à admettre qu’il s’est embarqué dans un mensonge qui le dépasse, bien plus fort que lui, sur lequel il n’a plus de prise. Le film nous fait réfléchir sur cette difficulté psychologique à revenir en arrière et à reconnaître ses erreurs.
LES CHEVALIERS BLANCS ne laisse en aucun cas indifférent et embarque le spectateur au cœur d’un imbroglio humanitaire bouleversant qui nous interroge encore longtemps après l’avoir vu.


Critique de Sylvie-Noëlle pour Le Blog du Cinéma

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le 19 janv. 2016

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