Quand on voit ce film, on pense tout de suite à cette fameuse phrase prononcée par le présentateur Roger Gicquel en février 1976 : « La France a peur ». Comme souvent chez Jessua, la réalité est une source intarissable d'inspiration - le réalisateur ayant entendu parler d’un homme qui dressait son molosse pour "casser de l’arabe et du pédé" - son film s'apparente à une métaphore à peine exagérée d'une France réfugiée dans un réflexe sécuritaire. Les chiens dénonce cette France anti-jeunes et anti-immigrés. Hasard ou pas, le film débute de façon prémonitoire avec une scène qui donne l’impression de sortir de White Dog (Dresser pour tuer) alors que le film de Samuel Fuller ne verra le jour que 10 ans plus tard. On y voit un noir taquiner un berger allemand en lui disant : « tu dois pas aimer les noirs toi ! ». Puis le chien saute la clôture qui les sépare et s'empresse de l'attaquer. Alain Jessua n'a pas fait un film plaisant et il se souvient encore de l'accueil mitigé du public. Le film est tourné à Marne la Vallée, dans une zone pavillonnaire qui vient de naître. Son architecture quasi futuriste (pour l'époque) contribue à donner au film un aspect fantastique et inquiétant, renforcé par la musique étrange et ethnique de René Koering et Michel Portal (BO évidemment introuvable). Sans être pour autant un véritable film d’horreur (plutôt un film d’anticipation), tout ces habitants qui se baladent avec un molosse donne lieu à des scènes surréalistes qui glacent le sang. Si les jeunes s’opposent aux milices du soir, ils ne brillent pas non plus par leur intelligence : il faut 3 morsures pour être un vrai dur, un peu comme dans le camp opposé ou il faut atteindre le 3eme grade pour devenir un maitre-chien accompli. La bêtise est des deux côtés de la barrière. Mais c’est le rapport particulier avec les canidés qui intéresse Jessua. Si les chiens remplacent les armes à feu (ils sont formés à l’attaque), le conditionnement au cours des séances de dressage avec Morel (Depardieu) modifient les comportements des maitres : ils deviennent fous. Dans une scène hallucinante d’entrainement entre Morel et l'institutrice (Nicole Calfan), la violence du dressage laisse place à une forme d’excitation bestiale. Sans les images, on aurait le sentiment d'assister à un rapport sexuel ponctué d’orgasmes. Face à Morel, un médecin fraichement installé en ville (impeccable Victor Lanoux, lui qui campait un beauf plus vrai que nature dans Dupont Lajoie quelques années plus tôt), intrigué par la multiplication de morsures en ville décide d’enquêter. Il se retrouve rapidement seul contre tous. Morel retourne facilement la population à sa cause d’autant qu’il brigue la mairie. Sa relation étrange avec sa chienne Lilith à de quoi surprendre : « Je t’aime. Tu ne me trahiras jamais, toi. T’es une pute mais je t’aime. »
Jessua dénonce avec les chiens non seulement l'amour excessif accordé à ces animaux et la névrose qui s’en suit dès lors qu’un groupe d'individus accorde une confiance aveugle au chef (de meute), sans chercher pour autant à condamner une possible dérive fascisante. Mais il démontre surtout qu'à force de vouloir se défendre on prend le risque de devenir l’agresseur. Sans être une totale réussite, le film est un ovni, un film culte.
A noter que Depardieu a accepté de jouer dans le film dans un but thérapeutique : attaqué par un chien dans un bar, il y voit une opportunité d'exorciser le traumatisme de cette agression. Paradoxalement, ce n'est pas son rôle le plus marquant, il vient de tourner 1900 (chef d'œuvre) qui est en montage. Il livre une prestation bien plus mémorable dans le film de Bertolucci.