J'adore ce film, mais véritablement, d'une affection presque physique ai-je envie de dire. Normal, c'est un film hédoniste par excellence. La philosophie de vie qui est promue ici dans toute sa splendeur est tournée exclusivement et surtout de façon vitaliste vers le plaisir, la nécessaire recherche d'un plaisir qui n'est en aucune manière un passe-temps, qui n'a strictement rien à voir avec un quelconque loisir, mais qui constitue bel et bien la donnée élémentaire de la survie, comme l'air qu'on respire, un attribut de l'existence indépassable, une obligation pour l'âme comme pour le corps, une réponse hygiénique et rigoureuse au cortège d'emmerdes de la vie.

Ce n'est pas tant l'amitié qui est vantée sinon soulignée, elle l'est du reste, certes, mais le film, par ses chemins sinueux, par les répliques tirées du roman de Jules Romains, par la mise en scène enjouée d'Yves Robert, par l'enthousiasme communicatif, sincère qui se lit chez les comédiens, par ces blagues auxquelles les personnages vouent tant de temps, le film disais-je est une ode à l'essence de vie, est à l'écoute des désirs, de leurs satisfactions.

Il n'est pas dit que le plaisir doit être satisfait en solitaire, en égoïste, non, bien au contraire comme le montre la scène où les compères se refusent à boire en l'absence de l'un des leurs. Les tours se jouent à plusieurs, il faut un large public. Surtout les faces éclatantes, lumineuses de sourires des amis sont l'indispensable gage de plaisir de vivre. Partagé, oui. De même qu'on dédie à un copain la musique d'une roue libre dans une descente à vélo le long d'une route de campagne par un bel après-midi d'été, on ne se paye un bon resto qu'au minimum à deux, histoire que la satiété bienheureuse se lise dans le regard et le sourire béat de l'autre. C'est très joliment dit : la caméra d'Yves Robert est toujours prête à capter ces petits instants de bonheur, d'amitié où l'on voit les hommes festoyant sous les caresses d'une existence qu'ils ont choisi de mener à leur baguette.

Il y a là une morale volontariste qui n'est pas sans panache, ni justesse. Ils ne veulent pas subir la vie mais la diriger, sans pour autant fustiger un corps qui ne leur fait pas peur. Bien entendu, il n'est pas complètement nié que la vie ne se résume pas à la bamboche : les mouises, les aléas, le boulot qui prend du temps mais fait gagner de quoi ripailler sont là, quelque part, tapis dans l'ombre. A la fin du film par exemple, Philippe Noiret se tourne vers l'horizon, l’œil un peu noir, avec ce poids de mélancolie sur la nuque, car le temps des vacances est sur le point de se terminer.

Le film ne se perd pas complètement dans la fable, dans l'irréel mais fait tout de même plus que suggérer que l'orientation hédoniste des personnages n 'est pas une posture commode, ou même un brin artificielle, il affirme au contraire, avec joie, que cette quête s'inscrit dans un absolu compliqué à atteindre, qu'elle est le fruit d'un combat. C'est bien une lutte que se propose de livrer la bande de copains.

Et les blagues qu'ils préparent contre deux petites villes auvergnates, Ambert et Issoire, qu'ils ont pris en grippe un soir de beuverie, sont des manifestes philosophiques, avec ce que cela suppose de soufré, de mal-pensant, de politique en somme, entre anarchisme et gauchisme, une offensive "anti" en tout cas. La première est nettement anti-militariste. Pierre Mondy parle de la caserne qu'ils mettent sans dessus dessous comme d'un "vaste pet". La deuxième est bien entendu anti-religieuse, Philippe Noiret fustigeant le caractère mortifère du catholicisme en détournant la messe du dimanche au profit d'un discours totalement libertaire et hédoniste. Le troisième est moins évident. Jacques Balutin y conspue sans doute un nationalisme fondé sur des mythes faussement historiques. En tout cas, c'est à la foule amassée et panurgienne qu'il s'en prend. La petite facétie finale qui met en scène les dons chimiste du très jeune Guy Bedos est davantage tournée vers une poésie sereine, nullement agressive, elle permet quoiqu'il en soit de conclure un très beau film avec un peu plus de légèreté.

Mais le film n'excelle pas seulement à lancer cette belle invitation au bonheur ensemble. Sur la forme, je l'ai déjà évoqué plus haut, le jeune cinéaste Yves Robert s'amuse à filmer son histoire sur la même tonalité, avec joie, avec imagination et il sait merveilleusement mettre en "couleurs" et gaieté son noir & blanc. Ça bouge, ça vit. Le rythme est trépidant.

Quelques respirations ici et là, notamment grâce à la flûte de Claude Rich -et son Mozart- ponctuent un récit bien en main, où l'ennui ne peut se faufiler.

De plus, les acteurs sont nombreux et très à leur aise. Nul doute que le tournage a dû être rieur, d'esprit troupier et tout aussi gourmand que l'histoire qu'il raconte.

Pour le spectateur, il est un plaisir qui ne se refuse guère, l'incommensurable plaisir d'entendre la voix roucoulante de Philippe Noiret, tempêtante, miaulante, tonitruante et berçante, roulant avec générosité son texte. Quel plaisir de retrouver le visage jovial de l'admirable Pierre Mondy. Jacques Balutin est très bien également. Les autres sont peut-être un peu plus effacés. Claude Rich a sa minute de gloire, comme Guy Bedos. Michael Lonsdale et Christian Marin se contentent de peu, les pauvres. Ils sourient, c'est déjà ça. On appréciera l'aimable participation de Tsilla Chelton ainsi que celle de Jean Lefebvre.

Tout cela est bien fait, et donc "plaisirofère". Comment faire pour ne pas y goûter? Se pincer le cul? Il faut sûrement un travail de morale mal placée, enfin tout ce qui m'exaspère.

Au contraire, ce film donne un sacré coup d'air frais, il met de bonne humeur. Un rendez-vous que je m'octroie de temps en temps... Cela faisait trop longtemps, il faudra y revenir plus souvent. Positif.
Alligator
9
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le 2 déc. 2012

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