La vie est une quête que l'on n'achève pas.

C'est un chemin délabré que l'on parcours sans en être parfaitement aligné, ni vraiment éloigné.

On passe notre vie à délecter le plaisir de pouvoir vouloir. Alors, on veut pouvoir aduler de la sensation de réussite, on se saisi d'un objectif et on embrasse ses issues, ses possibilités, ses failles.

Jean-Pierre Mocky nous transmet la le trou béant dans lequel l'Homme se perd sans contrainte, même avec une dose de bonheur il se satisfait d'y être perdu.

Le personnage que l'on suis, Freddy, fait face à ce trou béant, il pense en être le légitime maître mais c'est en réalité sa conscience qui dirige.

D'une quête premièrement commune, celle de la satisfaction de l'âme, il la dérive dans le plaisir de la compagnie féminine qu'il partagera d'ailleurs avec un homme en plein chemin initiatique (Joseph Bouvier). Pure représentation du dragueur né ("oh c'est pas des choses qui s'apprennent, on a ça dans le sang"), sa facilité à attirer l'attention le confronte à de nombreuses formes d'interactions (fille de joie, jeune étudiante, étrangère, mère mariée, femme fatale, orgie mondaine) qu'il délaisse inlassablement avec la conviction de trouver mieux. Freddy est donc un homme ondoyant mais incertain. Il relate de l'illusion de la conviction, la fausseté de l'assurance qui nous noie dans une avidité fallacieuse, ou l'on pense déroger à la règle de l'impuissance, mais non, personne n'y échappe.

L'oeuvre est un film de visage. Durant ces quelques 1h15, le réalisateur nous bombarde de jolies faces, des femmes ayant pour point communs d'être aussi splendides les unes que les autres, et dont on oublie les caractères faciaux dès qu'on passe à celle d'après, à la prochaine conquête. Le plaisir d'avoir une pluralité de choix cache aussi l'inconfort de devoir choisir, quand notre quête prend la forme d'un être doté de raison, existe-t-il pire casse tête que d'essayer de trouver la meilleure solution pour posséder ce dernier ? Pire encore : que faire quand la femme de nos rêves les plus fous (la solution miracle à notre problème vital) est le produit d'une illusion (une erreur ou, dans ce cas-ci, une jambe cassée)? Les grands yeux, la bouche, les nattes, les cheveux, tout ces éléments qui distinguent les intervenantes du voyage du samedi soir de notre personnage ne deviennent plus qu'un tas d'éléments niables quand l'obstination ne réside qu'en la seul satisfaction de se sentir rejeté, frustré, mis à l'épreuve.

Le personnage d'Aznavour est lui tout nouveau dans ce monde, il est perdu et désespéré, il veut "draguer" comme les grands (ou plutôt comme ceux qui veulent se valoir grands), empruntant un chemin dans le chemin, une illusion dans sa vérité. Il ne se rend pas compte que sa véritable quête, trouver "la femme qui lui est destiné" selon le proverbe chinois, est déjà en progression. Innocent et franc, il représente les suiveurs, ceux qui ne prennent pas conscience qu'ils possèdent eux-même la clé pour avancer, lui qui semble le dernier des emballeurs finis le premier réellement conquis d'une femme de façon réciproque.

Au style coloré et décor préfabriqué que l'on attribue à Wes Anderson, la scène ouverte au plan étiré et l'excellente musique appartiennent à Jean-Pierre Mocky. Entrer dans le monde d'un pionier de la Nouvelle Vague n'est pas une mince affaire, que l'on sois clair, mais j'ai la chance d'adhérer parfaitement au style de ce réalisateur anars. D'une main de maître il délivre ses idées, et le visionnage de ses films reste chaques fois une expérience impressionante.

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le 20 mai 2023

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PabloEscrobar

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