Ils s'aiment et vivent au milieu des autres, au milieu du monde, d'un monde en plein bouleversement, en pleine évolution politique, économique, humaine. Et ils doivent s'y plier, s'y adapter, coûte que coûte. C'est ce que nous montre Jia Zhang-ke dans son dernier film, présenté en compétition officielle à Cannes l'an dernier et totalement oublié au moment de la remise des récompenses.
Sans être mon film préféré de Zhang-ke (A Touch of Sin m'avait davantage... touché), Les Éternels (Ash is purest white) vaut pourtant largement le détour. C'est, sur un fond de Chine en pleine mutation (qui met les bouchées doubles pour se mettre au diapason du monde moderne et rivaliser avantageusement avec les grands pays occidentaux), une grande fresque romanesque, une grande histoire d'amour développée sur 17 ans, de 2001 à 2018. Une histoire d'amour plutôt racontée du point de vue de la femme, Qiao, une ex-danseuse professionnelle très éprise de Bin, un petit caïd de la pègre de Datong (grosse ville de la province du Shanxi, au centre-nord-est du pays). Elle l'aime, il l'aime, ils filent le parfait amour. Mais le monde (la pègre de Datong) se rappelle très vite à eux, dans toute son hostilité. Et c'est Qiao qui, brandissant un révolver, sauve in extremis la vie de son amoureux attaqué en voiture par une vingtaine de motards d'une bande rivale. Refusant de rejeter la faute sur l'homme qu'elle aime, elle prend la plus lourde peine : cinq ans (pour détention et usage d'une arme à feu), lui n'écopant que d'un an d'emprisonnement.
C'est long, cinq ans derrière les barreaux, surtout quand on n'a aucune nouvelle ni visite de son amoureux. Mais Qiao nourrit pour Bin un amour inextinguible et ne peut croire que lui l'a oubliée. Sortie de prison, elle fera tout pour le rejoindre et enfin convaincue qu'il l'a trahie, elle retournera à Datong et y reconstruira son existence, farouche, implacable et solitaire.
La roue de la fortune finira par tourner à son avantage. Bin, qu'elle aime toujours dans le secret de son coeur, lui reviendra, brisé, ayant perdu l'usage de ses jambes, en chaise roulante. Elle le remettra sur pied ou quasiment mais... il repartira, clopin-clopant. Parce qu'il a gardé sa fierté d'antan et se sent humilié de l'espèce de distance qu'elle adopte maintenant vis à vis de lui.
Comme on voit, Les Éternels, c'est, plutôt qu'une histoire d'amour, celle de la fin d'un amour, aussi grand fût-il. Un mélodrame sec. Sans presque aucun épanchement. Fermé comme un poing. Dans le contexte d'une Chine indomptable qui, à l'image de l'héroïne (remarquablement jouée par Zhao Tao, la muse et épouse du réalisateur), ne renonce jamais, s'adapte à tout, entreprend toujours. Une Chine éternelle.