Avec Les Figures de l'Ombre, je craignais de me retrouver, encore, devant un de ces Majordome, un de ces films conçus comme une litanie, pour affirmer que "notre peuple a beaucoup souffert", ne décrivant que des personnages victimes de leur condition, ne demandant que la repentance et montés comme des cours d'histoire assommants et simplistes à la larme facile et culpabilisante.


Sauf que Theodore Melfi ne s'envisage pas comme un porte étendard d'un peuple ou une figure de proue. Et en une seule scène, il retourne les clichés dans une malice intelligente qui, tout à la fois, surprend et amuse. Ce n'est en effet pas tous les jours, au cours des années 60, qu'une voiture de police conduite par un blanc escorte et ouvre la route à trois jeunes femmes noires pour leur permettre de travailler.


Le temps d'une seule scène, Les Figures de l'Ombre dévoile sa note d'intention tout en emportant immédiatement le spectateur. Le film cadre ses trois personnages en un seul trait. Presqu'en un souffle. Immédiatement attachantes, charmantes, fortes et battantes. D'autant qu'elles cumulent les handicaps, à cette époque, d'être des femmes et d'être de couleur. A peine tolérées dans leur environnement professionnel malgré leurs capacités et leur excellence, elles ne se lamentent pas sur leur condition indépassable. Non. Elles se battent et enfoncent les portes. De manière caricaturale, parfois, le temps d'une ou deux scènes. Mais cette manière maladroite, à l'occasion, de faire passer ses idées ne nuit jamais au film. Au contraire. Elle reflète la nature généreuse et énergique de ces trois femmes que l'on ne peut qu'admirer et pour lesquelles on se prend tout de suite d'intérêt.


L'autre idée géniale du film est de confronter la lutte pour la reconnaissance et l'égalité à l'objectif considéré comme chimérique d'envoyer quelqu'un dans l'espace. Cette métaphore transparente du but à atteindre est, ma foi, finement vu et ne tombe jamais dans les outrances militantes de certains films à Oscar simplistes et unidimensionnels dans ce qu'ils dénoncent. Il fait monter à l'une de ses héroïnes l'échelle de la reconnaissance de son mérite en même temps qu'elle monte l'échelle pour écrire à la craie des formules mathématiques complexes tout en en remontrant aux blancs, si supérieurs soient-ils.


Dépeignant par la même occasion la bêtise de certaines positions et d'un certain ordre bien établi, Les Figures de l'Ombre prend ses racines dans un contexte historique fascinant, celui de la course vers l'espace dans laquelle s'étaient engagés américains et russes, prétexte d'un élargissement de l'impérialisme. Une époque où les avancées technologiques et les innovations les plus marquantes étaient aussi une histoire de politique.


Les Figures de l'Ombre reflète à merveille les couleurs de cette période de l'histoire, entre feelgood movie, humour discret, romance peut être pas nécessaire mais charmante, construction de trois destinées vouées à marquer leur époque et léger suspens quand est abordé l'aspect technique ou les missions engageant la vie des hommes. A ce titre, si le progrès technologique dépasse rapidement l'humain, l'homme reste la clé de voute du système, un discours qui rejoint, l'auriez-vous cru, l'une des thématiques du Clint Eastwood de Sully.


Un tel film rafraîchit et séduit. Au point de ressortir de la salle avec un grand sourire qui éclaire le visage, conquis par une maîtrise peut être un peu classique dans ses mécaniques, mais séduisant et très intéressant dans ce qu'il propose et met en scène.


Je n'en attendais pas tant. Quelle surprise !


Behind_the_Mask, qui n'a pourtant jamais eu la bosse des maths.

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le 9 mars 2017

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