Grâce à sa légèreté, le film se montre bien plus efficace que la moyenne

Les Figures de l’Ombre avait tout pour être un film à Oscar. Déjà parce qu’il est sorti en pleine période des nominations. Mais surtout parce qu’il proposait une thématique susceptible de charmer l’Académie. Et ce qui marche le plus en ce moment, c’est bien la dénonciation de la discrimination raciale. N’y voyez pas dans cette remarque une attaque raciste de ma part. Mais plutôt un ras-le-bol de la part des productions hollywoodiennes qui n’ont plus peur de surfer sur des sujets graves, de tirer sur la corde même si c’est déjà-vu juste pour se voir obtenir des mérites par forcément légitimes. Car tout dépend du réalisateur : s’il a suffisamment de talent et de savoir-faire pour imposer sa vision et non se plier au business des producteurs. Pour certains cas, c’est une réussite en tout point (le dernier m’ayant marqué sur le sujet est 12 Years a Slave), d’autres, c’est un ratage quasi complet vite oubliable (le récent The Birth of a Nation). Quand la promotion des ***Figures de l’Ombre***a commencé à se faire, j’y ai vu une nouvelle tentative de studio pour empocher quelques statuettes avec un projet pour « charmer ». À ma grande surprise, le film marque bien plus les esprits que ses semblables de ces dernières années.


Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance pour ce produit purement hollywoodien qui avait en main certaines caractéristiques habituellement néfastes pour ce genre de film. À commencer par un casting reprenant des célébrités du milieu, qu’elles soient du moment (Octavia Spencer, Kirsten Dunst), d’une autre époque (Kevin Costner, qui a bien du mal à revenir depuis la fin des années 90) ou bien de la nouvelle génération, principalement issue de la télévision (Jim Parsons de The Big Bang Theory et Mahershala Ali, reconnu depuis House of Cards). Viennent ensuite certaines scènes du film venant un peu trop appuyer son sujet, tel un plan anecdotique présent au montage juste histoire de montrer du doigt (comme cette fontaine pour les Noirs à côté d’une autre pour les Blancs) alors que d’autres titres le font de manière beaucoup plus subtile ou bien puissante. Et surtout, de marier cela au milieu de la NASA, toujours propice à des moments de pures niaiseries (grandes accolades sur fond de musiques héroïques à la Armageddon). Non, Les Figures de l’Ombre avait tout pour n’est qu’un film dénonciateur de plus.


Mais hormis des passages beaucoup trop hollywoodiens, tel un final en happy end indigeste, le second long-métrage de Theodore Melfi parvient à se démarquer des autres. Cela, Les Figures de l’Ombre le doit au choix fort judicieux de son cinéaste : traiter son sujet avec légèreté et bonne humeur. Alors que d’autres auraient monté leur réalisation de manière pédagogique en donnant l’impression aux gens de n’être que spectateurs des faits, abusant du tire-larmes ou bien des bons sentiments, Melfi a préféré une toute autre approche. Celle de raconter le parcours et l’évolution au sein même de la NASA de trois « calculatrices » afro-américaines avec panache par le biais d’une bande-son enlevée, reflétant à merveilles l’époque du film (soit les années 60). Via un humour inattendu, utilisé pour des séquences dénonciatrices (l’une des héroïnes traversant tout le campus de la NASA, chargée au possible, juste pour aller aux WC réservés aux Noirs). Et en proposant des seconds rôles détestables mais non moins jouissifs (Jim Parsons nous servant un ersatz de son célèbre rôle de Sheldon Cooper). Cela n’a l’air de rien, dit comme ça, mais cette légèreté permet aux Figures de l’Ombre d’être en tout point abordable. D’attirer le spectateur et de lui faire passer un agréable moment tout en lui enseignant une part importante de l’Histoire ainsi qu’une leçon d’humanité. Et enfin d’offrir énormément d’importance et d’impact à des séquences beaucoup plus sérieuses (comme celle où l’une de nos héroïnes, revenant des toilettes trempée jusqu’aux os à cause de la pluie, déballe tout ce qu’elle a sur le cœur devant son patron et ses hommes).


Et il faut également souligner que Les Figures de l’Ombre doit sa réussite à son casting. Non pas aux rôles secondaires, bien qu’ils soient à la hauteur de leur interprète respectif. Mais plutôt au trio de tête mené par Taraji P. Henson, Octavia Spencer et Janelle Monáe. Toutes les trois ont suffisamment de talent et de personnalité pour faire vivre leurs personnages. De les rendre charismatiques et attachants comme il faut. Et ainsi, de part le naturel, d’apporter suffisamment de crédibilité à cette légèreté et ce synopsis pour que le public s’intéresse pleinement à leur vécu. Il est toutefois fort dommage que leur performance s’enlise par moment dans le niaiseux dû aux séquences hollywoodiennes du long-métrage. Le côté guimauve reprenant malheureusement le dessus sur leur magnétisme inné et faisant rappeler au public ses défauts de produits de studio. Ce qui l’empêche, du coup, d’obtenir une bien meilleure note !


Mais qu’à cela ne tienne, Les Figures de l’Ombre remplit aisément son office en sachant nous dénoncer la discrimination raciale par l’Histoire en ne tombant jamais dans les clichés du genre. Plutôt que de faire dans la pédagogie de bas étage, le réalisateur, en tant que bon professeur, a préféré nous mettre à l’aise afin d’attirer notre attention et de se montrer sérieux quand il le fallait. Pour mieux nous impressionner et ce de manière plus subtile que la majorité de ses congénères. C’est bien plus efficace, croyez-moi !

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