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Les Figures de l’Ombre, comme son nom l’indique, fait partie de ces films qui tentent de mettre en avant et redorer la place de ces héros inconnus au cinéma, et ici plus généralement la place de la femme. On y suit donc 3 femmes parfaitement inconnues de la majeure partie de la population mondiale mais ayant pourtant participé activement à l’avancée technologique ainsi que l'acceptation ethnique, jusqu’à en être des éléments clefs dans l'Histoire. Et cette fois-ci, le coup est double puisque ce sont des femmes, noires de surcroît, durant une période où leur intégrité était encore très loin d’être respectée. Autant dire que sur l’échiquier de la vie, on ne leur avait laissé que les pions.


La grande force de ce long-métrage est évident, il dévoile de grandes personnalités de l’ombre et montre leurs accomplissements sans que ce ne soit jamais marqué dans quelconque livre scolaire d’histoire et dont les noms ne furent probablement jamais prononcés par des professeurs. Et si l’on se dit qu’elles n’ont accompli que des réussites modérées et relativement insignifiantes dans la longue progression de l’humanité, rappelez-vous qu’elles ont participé à la conquête de l’espace. La phrase « Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité » n’aurait donc jamais été prononcé si elles n’avaient pas été là.


Un film pour le moins fort classique dans sa construction et sa structure mais possédant une certaine légèreté de ton le rendant plus intéressant. Encore une fois, la question de l’acceptation raciale est au centre de l’histoire. Et encore une fois, en être le juge est un exercice délicat. On retiendra en premier lieu la composition extrêmement standard du long-métrage. Le scénario est le parfait exemple du récit décrit par Aristote, sa structure est tout ce qu’il y a de plus conventionnel. Les mentalités changent dès qu’il faut faire avancer l’histoire, les protagonistes principales prouvent leurs valeurs dès que la situation est bloquée et les alliés se manifestent aussitôt qu’il faut conclure ces changements d'état d'esprit. En sommes, il n’y a ni surprise sur le déroulement des faits ni sur ses conséquences. Ce qui est plus agréable en revanche, c’est la légèreté de ton et l’humour qui en découle. Prenons l’exemple du policier au tout début qui semble annoncer une société profondément raciste pour finalement se présenter comme n’étant qu’un policier sympathique faisant ni plus ni moins son travail. L’humour n’est donc pas trop présent ni trop appuyé, il est juste ce qu’il faut pour rendre le récit intéressant à suivre et jamais désobligeant, provocateur ou pessimiste. Il rend lieu d’une mentalité générale qui existait non pas par méchanceté mais par convention sociale désormais dépassée et inappropriée à l’évolution de la société. Si certaines images semblent assez choquantes, notamment la deuxième cafetière, on voit bien durant la suite des événements, ou par le biais de personnages comme le chef du programme spatial ou l’astronaute confiant, que la mentalité n’a juste pas changé depuis l’après-guerre.


Mais tout ceci est sans compter sur les gros sabots du réalisateur Théodore Melfi. On ne peut reprocher sincèrement le fond du film, mais on peut noter que sa mise en scène, ses choix d’acteur et ses actes sont très grossiers, pas mauvais, au contraire, le tout restant honnête et donc agréable à suivre, mais extrêmement simpliste et sans l’once d’une subtilité. A Hollywood, l’une des traditions, c’est le personnage sauveur, qui débloque la situation à lui tout seul. Et il n’y a rien de plus horripilant que ce personnage parfaitement improbable et particulièrement agaçant. Ici nous en avons 3. C’est moins vrai pour Janelle Monae qui joue le rôle de Mary Jackson, mais ses deux comparses agissent totalement comme tel, l’une débloquant la situation comme si les plus grands mathématiciens étaient incapables de réfléchir à un autre théorème par eux-mêmes et l’autre comprenant l’informatique comme si les premiers informaticiens étaient incapables de lire un manuel d’utilisation. Les hommes apparaissent comme légèrement plus crétins qu’ils ne le sont, et nous sommes prêts à admettre qu’ils peuvent être très benêts par moment, mais l'écart entre les deux formes d'intelligence est tout de même présentée de manière extrêmement grossière. L’autre point qui permet de faire passer la pilule sans trop de problème est le personnage de Paul Stafford, légèrement misogyne et raciste inconscient, sa mentalité ne choque pas lorsqu’on sait qu’elle est incarnée par Jim Parsons a.k.a l’illustre Sheldon Cooper dont la psychologie est si singulière et innocente qu’elle en devient tout de suite plus pardonnable. L’image de l’acteur permet donc de mieux faire passer le caractère de son personnage qui se place comme le représentant à lui seul de la mentalité de tous ses collègues. Et cela s’applique également au personnage de Kevin Costner qui, à l'inverse, donne le ton à la mentalité générale du film : au-dessus de ces futilités raciales et sexistes, ne souhaitant que le bon accomplissement de son projet. Quoiqu’il en soit la démarche est bonne, mais l’application est un peu abusive tant on sent la volonté de ne froisser personne tout en essayant de faire passer son message au travers de ces personnages forts.


Le message de fond est plus que louable mais son moyen de transmission à travers les personnages, la mise en scène et les nombreux parallèles développés sont fait de manière totalement grossiers et convenu. Plus profondément ancré dans le sous-texte du film, mais tout aussi grossiers, ce sont tous les parallèles que fait le film. Le premier se déroule assez tôt dans l’histoire lors d’une scène nous faisant très clairement comprendre la hiérarchie sociale des différents personnages. En haut le chef de projet incarné par Kevin Costner, puis les larbins, puis les larbins des larbins, puis les femmes, puis les femmes noires. Plus explicite, tu meurs. Mais ça a le mérite de faire comprendre que dans la hiérarchie sociale, la femme noire est l’échelon le plus bas à cette époque. Le second parallèle très explicite est celui fait entre l’humain et la technologie. Les employées noires de la NASA sont appelées « les calculatrices » puisqu’à cette époque IBM sort tout juste ses premiers serveurs capables d’enregistrer les données et de calculer plus vite que l'homme. Il y a donc ces signes avant-coureurs de la technologie s’améliorant en combinaison du changement général des mentalités. On découvre et accepte progressivement cette nouvelle technologie, l’informatique, en même temps que l’on découvre des capacités chez les femmes dont on ne pensait capable uniquement des hommes, et on l’accepte également. Et enfin le dernier parallèle, et non des moindres, il s’agit de la primeur des événements. Exactement au même titre que l’Amérique souhaite être la première nation à aller dans l'espace, nos héroïnes souhaitent être les premières noires à faire bouger les choses et changer les mentalités (en sommes). La réussite du voyage dans l'espace et le fait d'être les premiers à y parvenir est ici l'aveu d'un changement d'état d'esprit et d'être les premiers à accepter des femmes noires à de hautes responsabilités. Le fait d’être bloqués dans leurs calculs pour propulser la navette dans l'espace traduit leur manque d'ouverture d'esprit vis à vis de l'humanité elle-même. Ils finissent par reconnaître que les femmes (noires en l’occurrence) peuvent apporter bien plus de choses que les hommes ne le pensent et c’est cette nouvelle entraide, cette nouvelle façon de penser, qui les fait avancer de concert dans leur travail. En sommes, la morale c’est que l’acceptation, le changement de mentalités, permet de débloquer des situations.


En fin de compte le film reste bon et intéressant, il est simplement très conventionnel, sans prise de risque et sans grande proposition de mise en scène. En tant qu’objet filmique, Les Figures de l’Ombre semble relativement oubliable, mais il s’inscrit durablement à travers sa volonté initiale et dans l’histoire qu’il défend. En dehors des (très) grosses ficelles, les personnages sont malgré tout bien caractérisés (difficile de savoir à quel point ils sont identiques à la réalité) et l’histoire suit un tracé logique finalement sans faille. Ce que l’on demande donc à ce long métrage, à savoir nous présenter ces femmes parfaitement inconnues ayant participé malgré tout a changé la face de l’Amérique et peut-être même du monde, est totalement respecté, et en ce sens, on peut dire que l’objectif est atteint. Par ailleurs les actrices se débrouillent admirablement bien pour donner du caractère à leur personnage et n'apparaissent nullement comme identiques les unes des autres. Elles combattent pour une cause commune mais ont toutes les 3 des principes différents et des avis qui divergent beaucoup sur la manière de défendre leurs opinions. Bien que cette partie ne soit pas aussi longuement traitée que les autres, les passages les mettant en scène en dehors de leur travail sont assez éloquents sur leur force de caractère. On finit donc par apprécier cette histoire tout en se laissant guider au travers des péripéties par ces 3 femmes au caractère fédérateur. On s'arrête finalement plus rapidement sur la volonté notable de rendre une certaine justice à ces personnalités que sur la mise en scène et la manière très simple dont les événements sont traités.

Notry
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le 23 déc. 2018

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