Faisant ses premières armes américaines au cœur du genre fondamental du Nouveau Monde, Audiard cavale avec un plaisir évident à travers l’oeuvre de Patrick De Witt en profitant de l’aura éminemment crépusculaire du western contemporain, territoire ultra-jalonné où le cinéaste français a l’opportunité de creuser des pistes qui lui sont chères. Et là transpire l’essence première des Frères Sisters : de prime abord, ce n’est pas tant un pur western qu’un portrait touchant et personnel de deux frangins, hommage non-dissimulé d’Audiard à son propre aîné qu’il a perdu.


Le film s’en retrouve plutôt rafraîchissant, loin de vouloir une fois de plus ausculter le genre et ses figures. Chiche en grandes chevauchées, laissant les fusillades en plan très large et autres duels dans le prisme trouble d’une fenêtre, la grande épopée de l’Ouest n’est ici qu’un lointain horizon. Fidèle à sa tenue de la caméra, Audiard s’épargne du classicisme épique pour lorgner plutôt du côté de la caméra portée et de la composition de plan rarement élaborée, un style qui ne cherche pas à concrètement marquer la rétine mais plutôt le virage qu’il souhaite opérer : l’intime dans un cinéma des plus emblématiques. Ce cinéma, le réalisateur en a conscience et l’expose à quelques reprises, jouant de l’iris de la caméra pour découper le récit et soulever la soif de richesse comme aberrant credo. La consécration en est le dernier acte, qui après un retournement de situation à la limite de l’absurde enchaîne les poursuites et les gunfights comme un étrange rêve, laissés au loin, avant de finalement mener à une conclusion surprenante qui achève le projet d’une aventure intime et humble.


Devant la caméra, Joaquin Phoenix et John C. Reilly campent deux frères attachants, l’un violent et avide de notoriété, l’autre mélancolique et coquet, tous deux auréolés du spectre de leur paternel. On se régale de leur affinité et confrontations, de leur passé mystérieux mis en exergue… Ce qui rendrait presque frustrante l’histoire scindée en deux, alternant avec le duo de Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed tout aussi convaincant. Derrière ce déséquilibre qui ne trouvera jamais de climax explosif mais au contraire une rupture brutale, il se devine discrètement un double portrait de l’Amérique, une soif de violence et de reconnaissance face à l’intelligence et l’honnêteté d’entreprendre. Dans toute l’ambiguïté de sa douceur et son réconfort, la fin du film signe alors la victoire du sang sur l’Homme du Bien devant l’aube de la nation.


Derrière la sobriété et la candeur émane soudain de ce western atypique un parfum désenchanté et ouaté, étrange sentiment rendu palpable par la photographie chaleureuse et trouble de Benoît Debie et les choix formels d’Audiard. L’apaisement final n’en est que plus déconcertant, le sang dans le dos, achevant le spectacle intime en funèbre peinture historique et politique. Les fantômes de la rédemption hantent Les Frères Sisters, divertissante quête initiatique qui par quelques touches alchimiques se transforme en sombre conte sur l’insignifiance universelle du vice.


https://obscura89.wordpress.com/2018/09/24/502/

MaximeMichaut
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le 24 sept. 2018

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