The boys in the band pourrait être un film totalement anodin s'il n'avait pas révolutionné la représentation des homosexuels au cinéma. Tout du moins à Hollywood, ce qui n'est pas rien. En effet, jusqu'alors, ils apparaissaient bien souvent à l'écran pour susciter le rire, l'effroi ou l'apitoiement du spectateur. Mais jamais, en tout cas, ils n'avaient le droit à l'honneur suprême d'être les égaux des hétéros puisqu'ils étaient condamnés à être des marginaux, des borderlines ou des archétypes. Des archétypes, on en croise évidemment quelques-uns dans The boys in the band mais c'est simplement pour mieux les malmener afin de faire éclore leur profonde humanité : sous le regard de Friedkin ces « gens-là » deviennent soudainement semblables à « tout le monde ».


Le film, adapté d'une pièce à succès de Mart Crowley, reprend à son compte le principe du huis clos : une petite communauté, gay évidemment, vit tranquillement en autarcie jusqu'au jour où un élément perturbateur, un hétéro bien sûr, ne vienne rappeler la réalité du monde extérieur : le vase clos se fend et la vérité peut enfin survenir ! Tout cela pourrait faire très classique et très « théâtre filmé » sans la virtuosité de Friedkin et l'amorce de thèmes qui deviendront récurrents par la suite, comme la marginalité ou la paranoïa. The French Connection n'est plus très loin.


Mais avant de faire briller le réalisme, ce sont les archétypes et les représentations hollywoodiennes que Friedkin convoque. Dès les premières minutes, en effet, la caméra virevolte et croque gaiement un Manhattan bling-bling de carte postale ainsi que des gays clichés clinquants (le guindé, le cow-boy fantoche, etc.). Fric, strass et folles envahissent alors l'écran et nous laissent croire que le spectacle qui va suivre sera semblable à un épisode de Friends dans lequel le groupe d'amis ne serait pas constitué uniquement de blancs gentiment hétérosexuels. Seulement, il serait bien naïf de croire que celui qui filmera bientôt une gamine dégobillant à la face de la prude Amérique ne soit devenu un fervent partisan des ambiances doucereuses. Non, évidemment, et on en a une nouvelle fois la preuve ici : le miel précède l'aigreur, la légèreté le drame et le désenchantement progressif du récit ne fera que mettre en lumière le réalisme des portraits esquissés.


L'essentielle de l'histoire se déroule dans l'appartement de Michael, un jeune auteur qui organise une fête d'anniversaire en l'honneur de son ami gay, Harold, en présence de tous ses amis gays... L'ambiance gaie et festive va progressivement virer au drame et aux règlements de comptes sous les coups de baguette du maître Friedkin. L'intelligence du cinéaste est de ménager l'apparition de celui pour qui la fête est organisée : plus on en parle, plus on évoque son souvenir, plus sa présence fantomatique pèse sur le petit groupe. Le spectateur, quant à lui, se fera une image biaisée de ce personnage à la suite d'un plan d'ouverture plutôt habile : son environnement est celui de l'apparat (cosmétiques, salle de bain, etc), sa personnalité est superficielle (vision partielle de son corps perçue à travers le reflet d'un miroir). Harold est moins un personnage réaliste qu'un cliché, c'est une représentation fantasmée du gay dont l'apparition tardive à l'écran va venir contrarier l'habituel récit hollywoodien. Sans les personnages clichés, que nous reste-t-il à voir ? Des personnages réalistes, peut-être...


C'est exactement ce que Friedkin va s'employer à montrer : sans Harold, le petit monde de Michael n'existe pas ; sans la représentation hollywoodienne du gay, les clichés n'ont pas la vie dure. Le premier accro à l'univers « idyllique » initial se nomme Alan, l'invité surprise, le seul hétéro de l'histoire. Cinématographiquement, c'est intéressant puisqu'on sent l'évolution des représentations : dans le cadre, les homosexuels sont majoritaires, tandis que les hétéros sont repoussés à la marge. Mais surtout, avec l'introduction de ce personnage, c'est le monde extérieur qui s'invite dans le microcosme de Michael. Les parois commencent à tomber, la frivolité s'envole et la gravité qui s'installe annonce la fin des stéréotypes hollywoodiens. On sent alors poindre le futur cinéma de Friedkin avec cet environnement ambivalent dans lequel les frontières entre bien et mal sont poreuses.


Pour ce faire, notre homme fait intervenir un second élément qui va venir obscurcir le tableau idyllique. Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'un hétéro mais de la météo : un orage gronde et vient troubler la petite fête de Michael, obligeant les convives à se réfugier entre les murs de l'appartement. Le véritable huis clos peut alors commencer, les passions ne pouvant se déchaîner qu'au son du tonnerre ! L'ambiance claustrophobique est d'ailleurs habilement entretenue par une mise en scène qui occulte toute vision de l’extérieur. On est enfermé avec ces gus, toute échappatoire est impossible et la promiscuité ne fera qu'exacerber les échanges. Bien évidemment, c'est Harold lui-même qui va mettre le feu aux poudres : son apparition libère les langues et les tensions, les murs de la prison de Michael n'y résisteront pas.


Si The boys in the band est forcément théâtral, on évite toutefois le piège du théâtre filmé grâce aux talents de metteur en scène de Friedkin. Le jeu sur les cadrages, les contre-plongées ou l'ambiance sonore renforcent l'impression de vitalité et donnent toute sa force aux différents dialogues. Au fur et à mesure que les cadeaux s'ouvrent, les tensions et les rancœurs se libèrent, transformant ce qui étaient jusqu'alors des clichés en être sensibles et émouvants : ils aiment, ils souffrent, ils jalousent ; avec The boys in the band, les homos sont enfin semblables aux hétéros. Le microcosme de Michael, à l'instar des films hollywoodiens, vient de s'effondrer, les règles d'antan ont changé, la notion de normalité vient d'évoluer.


PS : on notera qu'en France, La Cage aux folles sort en 1978 et que l’homosexualité est considérée comme une pathologie psychiatrique jusqu'en 1992.

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le 12 févr. 2022

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Procol Harum

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