A l'aide d'une petite caméra, innovation technique de la fin des années 1990, Agnès Varda va sillonner la France afin de rencontrer ceux qu'elle appelle des glaneurs, des personnes qui ramassent les restes alimentaires dans un supermarché, après le marché hebdomadaire, ou alors des fruits et légumes qui sont à récupérer dans les champs après une récolte ainsi que des denrées non conformes en termes de calibrage pour les producteurs. En d'autres termes, il s'agit clairement de gaspillage, mais Varda n'est pas là pour un film dossier, qu'on jugera par soi-même, mais c'est la rencontre avec ces hommes et ces femmes, le plus souvent démunis, qui l'intéresse.


Comme cette réalisatrice ne fait rien comme les autres, le documentaire est aussi un moyen de découvrir cette petite caméra, qu'elle porte à une main, et dont elle va profiter pour se filmer elle-même en gros plan. Ce qui est en apparence anodin est en fait très beau, car c'est non seulement qu'elle parle de sa vieillesse et de sa probable fin prochaine (ce qui ne sera le cas que près de vingt ans plus tard !) qu'un miroir à Jacques Demy, dont elle filmait aussi son visage en très gros plan de la même façon dans Jacquot de Nantes. Ce qui vaut aussi des scènes parfois farfelus où, Varda pensant avoir éteint sa caméra, la laisse tourner en fait de longues minutes filmer le sol, avec le bouchon pour fermer l'objectif qui pend !


On retrouve dans ce documentaire toute l'empathie de Varda pour ses pairs, en particulier les opprimés, certains sans domicile ou dans des maisons de fortune. Certains marquent plus que d'autres ; je pense par exemple à Alain, un jeune homme vivant dans un foyer et qui ne se nourrit exclusivement que fruits et légumes laissés à l'abandon après un marché.
Aujourd'hui, le gaspillage est beaucoup mieux règlementé qu'en 2000, mais il y en a encore trop, mais ça n'est pas comme, anecdote personnelle, où je voyais des employés balancer de la javel sur des denrées périssables (ou non) pour éviter que des gens viennent les récupérer dans les poubelles de cet hypermarché où j'avais travaillé. Mais il y a quelque chose de révoltant à voir ce gaspillage, dont des tonnes de pommes non ramassées et qui font la joie de ces hommes et femmes dans le besoin, tout simplement parce qu'elles ne sont pas esthétiques, dans un sens.


Le titre du film vient d'une part d'un tableau représentant des glaneuses des siècles plus tôt, et de l'aspect ramasse-miette du cinéma d'Agnès Varda, sans que ça ne soit péjoratif dans mes dires ; c'est une femme qui aimait capturer l'instant présent, souvent pour le meilleur, et en particulier en direction de l'Autre. C'est aussi en cela que Les glaneurs et la glaneuse m'a beaucoup touché.
Je pense que, sans les deux chansons à base de rap, on aurait touché au sublime.


D'ailleurs, le documentaire a eu un grand succès, et son retentissement fut tel qu'à l'occasion de sa sortie dvd, 2003, Varda a tourné une suite, Deux ans après, du même acabit, où elle retourne voir certaines des personnes interviewés dans Les glaneurs, ainsi que des gens qui lui avaient écrits.

Boubakar
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le 17 janv. 2020

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