La vie c'est l'enfer, mourir aussi c'est l'enfer

Teruo Ishii est sans nul doute l'un des porte-étendards du film d'exploitation japonais en démontrant que déviance, esthétisme et mise en scène soignée peuvent faire bon ménage. Pour mon quatrième film de lui, je me suis penché sur "Les Huit vertus bafouées" s'inspirant d'un manga. Le contenu est autant déjanté qu'il est déstabilisant. Un samouraï qui en a plein le derche de tuer va entrer dans la confrérie des Scélérats. Cette entreprise a le monopole de la prostitution de femmes (dont beaucoup semblent le faire sous la contrainte). Les membres qui la composent ont prêté allégeance au précepte des huit vertus bafouées parmi lesquels la loyauté, l'amitié, l'amour, etc... Protégés par le shogunat, la concurrence ne tardera pas à se faire sentir, d'autant plus que notre ronin est poursuivi par la police vu le monceau de cadavres qu'il laisse dans son sillage.


Comme à son habitude, Teruo Ishii ne s'embarrasse aucunement des conventions. Il aime le cinéma détonnant, celui qui fait réagir, celui qui défèque en spray sur la bien-pensance. N'espérez même pas qu'une telle pellicule puisse sortir en 2022 chez nous sans qu'elle ne crée un immense scandale suivi d'un boycott généralisé. La femme est reléguée ni plus ni moins qu'au rang de simple bout de chair à exploiter. Il n'y a aucune limite dans le rabaissement du sexe féminin torturé, supplicié et violé en toute impunité. Par exemple, on tape une vente aux enchères et c'est celui qui mettra le prix le plus élevé qui aura le droit de dévierger la nouvelle captive. Les femmes sont constamment nues, même hors du lit. La maltraitance est reine pour le bonheur des hommes plus oppressants que jamais et ayant clairement droit de vie et de mort sur elles. On se rapproche parfois du travail d'un Masaru Konuma, l'une des grandes figures du pinku eiga.


Certes, le tableau sera discutable aux yeux de certains entre violence décomplexée, sexe cru et mauvais traitements. Pourtant, on ne pourra pas nier que Ishii fait encore très fort par sa mise en scène soignée, une image toujours aussi belle et des déguisements raffinés. Il y a aussi cet équilibrage optimal entre chanbara et érotisme qui fait que jamais nous ne sommes trop engoncés dans un seul genre. Les morts se succèdent au sabre et après on peut dériver sur de sympathiques scènes érotiques. "Les Huit vertus bafouées" jongle entre deux avec crédibilité pour écarter toute redondance (quelque chose que j'avais reproché à "Vierges pour le Shogun"). Les combats, vous vous en doutez, ne seront pas vraiment avares en effusions de sang avec ça et là un petit démembrement ou décapitation.


Je ne pourrais évidemment faire cette critique sans mentionner ma surprise de retrouver Tetsuro Tamba, comme personnage principal, qui fut l'un des acteurs les plus célèbres de son temps. Habitué à le retrouver dans des rôles plus sérieux, on se gausse de le voir avec deux femmes au plumard et les pratiques érotiques allant de pair.


Qu'on se le dise, "Les Huit vertus bafouées", méconnu du grand public (et c'est tant mieux comme ça on évitera les pleurnicheries), ne plaira pas à tout le monde mais on ne peut nier ses qualités formelles qui démontrent que Teruo Ishii n'est pas un manche derrière la caméra. Enfin, je mettrai ma main à couper que cet auteur fut une source d'inspiration pour le célébrissime Quentin Tarantino et son adaptation revisitée de Lady Snowblood.

MisterLynch
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le 2 juin 2022

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MisterLynch

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