C’est en 1782 que tout commence sous la plume de Pierre Choderlos de Laclos. Sous forme de correspondances, nous découvrons les échanges entre la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, rivaux bourgeois qui se racontent leurs conquêtes respectives, conquêtes qu’ils abandonneront aussitôt, dans le déshonneur d’autrui si possible. Intentions cruelles qu’ils les mèneront, bien entendu, à leur perte. Il ne faut donc pas se surprendre si Roger Vadim, grand séducteur et réalisateur à scandales, s’intéresse à l’adaptation de LES LIAISONS DANGEREUSES. Connu surtout pour son 1er film provocateur, ET DIEU…CRÉA LA FEMME, Vadim réalise pourtant ici son meilleur long métrage.


Aidé de Claude Brulé au scénario et de l’auteur Roger Vailland aux dialogues (Goncourt en 1953), le trio transpose le roman épistolaire du 18e siècle dans le Neuilly des années 50. Ici nous retrouvons Valmont, incarné par l’éternel jeune premier Gérard Philipe (mort trop tôt quelques mois après le tournage à 36 ans), et sa femme Juliette Valmont née de Merteuil, joué par la beauté tragique Jeanne Moreau. L’idée d’en faire un couple marié avait tout pour provoquer à l’époque. Il y a même eu un procès d’intenté contre Brulé et Vadim par la Société des gens de lettre qui voulait carrément empêcher la sortie du film. Un jeune avocat, un certain François Mitterand, gagnera leur procès leurs permettant de poursuivre la diffusion de leur œuvre s’ils ajoutent « 1960 » à leur titre pour bien la différencier de celle de Laclos.


Dans ce noir et blanc élégant et feutré, toute l’essence du livre s’y retrouve. Les dialogues assassins et insidieux de Vailland permettent au jeu de Philipe et Moreau d’être d’une redoutable efficacité. Dès le générique, le jeu d’échec sur lequel apparaissent les noms des artisans nous annonce qu’il y aura des affrontements où l’usage de la stratégie et non de la force triompheront. Toujours conscient de son charme et de l’environnement dans lequel il traque ses proies, Valmont s’amuse même à prédire celles qui cèderont pour lui. Lorsque sa tante lui lance « peut-on s’avoir quelle beauté vous attire dans les parages » Valmont rétorque un peu plus tard « je vous dirai le nom de la victime lorsqu’elle aura succombé ».


L’utilisation parcimonieuse d’une narration nous plongeant dans les pensées véritables des deux principaux protagonistes, permettent aux spectateurs dans savoir davantage sur leurs états d’âmes. Comme lorsque Valmont s’immisce dans la vie de Marianne, jeune mariée et nouvellement maman. Motivé par ce défi de séduction bien différent de ses autres aventures, il se dira à lui-même « mais il n’y a pas de citadelle imprenable, il n’y a que des citadelles mal attaquées » et il ajoute « je triompherai ». Devant tant d’assurance et de conviction, comment pourra-t-elle résister?


Si les dialogues sont les armes affûtées qui partagent les esprits ravageurs des cœurs blessés, tout ce beau monde de la riche commune limitrophe à Paris baigne dans l’ambiance jazzée de Thelonious Monk. Et sa musique amène un souffle au film, une énergie variable qui s’endiable autant qu’elle caresse. Sachant que Monk était reconnu pour ses improvisations au piano, il fut très habile de poser des notes définitives qui s’harmonisaient parfaitement avec la rigueur du récit. Et dans ces élans mélodiques, Vadim a osé à quelques occasions des plans un peu plus audacieux.


Et quelle belle surprise de croiser Boris Vian (dans l’une de ses rares présences devant la caméra) et davantage le jeune Jean-Louis Trintignant. Si le premier est discret, le second est encore une fois pourvu d’une fougue contrôlée, rappelant étrangement son personnage de Michel dans ET DIEU…CRÉA LA FEMME du même Vadim. C’est toutefois pour la belle Marianne que la caméra s’amourachera. Interprétée par Annette Stroyberg, nouvellement Madame Vadim, certain plan démontre une ressemblance frappante à une autre blonde pour laquelle le réalisateur avait chaviré quelques années plutôt, la désormais célèbre Brigitte Bardot.


LES LIAISONS DANGEREUSES ont eu plusieurs adaptations au grand écran (sans compter celles pour le petit écran et les multiples variantes pour la scène) mais aucune n’a su être aussi effroyable que celle-ci. Malgré que les scénaristes aient décidé de prendre plusieurs libertés, ils ont su conserver le ton et le danger de ces relations. Un plaisir sans culpabilité pour les spectateurs qui désirent volontairement être séduits à nouveau par le cinéma.

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le 4 juil. 2017

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Daniel Racine

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