Un jour, il faudra revenir sur le cas Raymond Bernard, réalisateur à la carrière longue (40 ans), et qui a l'air d'avoir été omis des grands noms du cinéma français ; en se penchant sur sa filmographie, il a quand même signé Le miracle des loups, Tartarin de Tarascon, La dame aux camélias, et des des dizaines d'autres films, dont cette version-là des Misérables.


En 1933, le pari d'adapter le pavé de Victor Hugo de la façon la plus fidèle possible était considéré comme une folie ; bien des réalisateurs s'y étaient cassés les dents, au point qu'au temps du muet, seules quelques scènes furent adaptées.
Raymond Bernard ainsi qu'André Lang, son coscénariste, relevèrent le pari, et le moins que l'on puisse dire, c'est que les moyens accordés furent gigantesques ; tournage de 3 films pour englober la vision de Victor Hugo, reconstitution très fidèle de la France du XIXe siècle dans les studios niçois de la Victorine, acteurs de renom (Harry Baur et Charles Vanel en tête), et la durée totale de 4H50, nécessaires pour démontrer le gigantisme du roman. Au final, il s'agit de la version la plus fidèle au livre selon les historiens et les critiques littéraires, et le film aura un succès considérable lors de sa sortie en 1934.


Bien leur en a pris, car cette version-là est absolument magnifique de bout en bout. Techniquement, c'est une date dans l'histoire du cinéma français, avec l'utilisation des travellings, qui donne une fluidité incroyable pour un art qui paraissait sans doute figé en ces années-là, la technique n'étant pas celle d'aujourd'hui. D'ailleurs, Raymond Bernard a apporté un élément très simple, mais qui à lui seul, dramatise plus encore l'histoire ; celui de faire basculer la caméra, comme pour montrer que ce monde-là est déjà déséquilibré. Le monde des riches, contre celui qui souffre, qui veut se battre pour ses libertés.


Le combat de Jean Valjean, forçat condamné au bagne durant 19 ans pour un vol de pain, et dont la peine s'est aggravée au fil de ses tentatives d'évasion. Tous les passages obligés du roman sont là ; certains sont plus évacués que d'autres ; Valjean est déjà au bagne au début du film, et l’évêque à qui il volera des couverts et chandeliers est rapidement présenté. Mais d'une manière générale, je reconnais totalement le roman d'Hugo dans la description des personnages ; la souffrance de Fantine, la pureté de Cosette, le côté gouailleur de Gavroche, la perfidie de Javert, tout y est, et cela donne quelque chose de bouleversant, y compris pour une personne qui a vu d'autres adaptations cinématographiques du livre.


A ce titre, la deuxième partie, qui se consacre davantage aux Thénardier, s'ouvre sur une séquence muette incroyable, et flirtant avec le fantastique, où la petite Cosette va dans la foret puiser de l'eau, et à ce moment-là, tout lui parait menaçant, le vent qui bruisse, les branches représentant le mal, la lune obscure ; rien que ce moment-là prouve que Bernard n'a pas adapté de façon bête et méchante un livre mais avait une patte de réalisateur.
Ce serait un pléonasme de dire que les acteurs sont magnifiques, et je le dis pourtant ; Harry Baur interprétant Jean Valjean, qui cherchera toute sa vie durant la rédemption pour ses fautes passées, Charles Vanel qui joue Javert, traquant sans répit l'ancien forçat que fut Valjean, Gaby Triquet et Josseline Gaël interprétant respectivement Cosette enfant et adulte qui ont cette part de fragilité bouleversante, et tant d'autres ; Jean Servais, Charles Dulin & Marguerite Moreno (les Thenardier), Oriane Demazis... n'en jetez plus, la coupe est pleine !


Le rythme effréné de l'histoire fait que les 4h50 (divisés en trois films, je le rappelle) passent comme dans un rêve, avec une partie consacrée à l'exil de Valjean, puis son procès, la suite consacrée en partie aux Thénardier ainsi qu'à l'évolution de Cosette et enfin le final où l'on va côtoyer Valjean contre Javert et la barricade de la rue Saint-Denis où un acte révolutionnaire va se créer avec Gavroche à sa tête.


290 minutes ne sont pas de trop pour contempler ce chef d’œuvre, qui reste encore aujourd'hui très accessible, car les scénaristes ont fait l'effort de simplifier l'histoire, car n'oublions pas que le livre de Victor Hugo est un bon gros pavé.
Mais tout le sel y est, et cela donne au final un chef d’œuvre, dont il faut également saluer la restauration en Blu-ray qui donne une impression vertigineuse que tout cela date d'hier.

Boubakar
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes films du mois.

Créée

le 1 févr. 2017

Critique lue 2.4K fois

9 j'aime

Boubakar

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

9

D'autres avis sur Les Misérables

Les Misérables
Ze_Big_Nowhere
9

"Les Misérables" pour les nuls - Tome II : Cosette -

Pendant que notre douce Fantine batifole au paradis des pauvres avec les petits anges aux mains sales. Notre Jeannot qui s'était dénoncé pour sauver un innocent de l'injustice s'est fait coincer par...

le 19 déc. 2013

29 j'aime

14

Les Misérables
GuillaumeRoulea
10

UN MONUMENT digne du roman !

Les Misérables, le roman épique de Victor Hugo, reconnu comme un monument de la littérature mondiale depuis sa parution en 1862 a connu de nombreuses adaptations tant cinématographiques que...

le 18 nov. 2013

16 j'aime

4

Les Misérables
Boubakar
9

Le mystère Raymond Bernard.

Un jour, il faudra revenir sur le cas Raymond Bernard, réalisateur à la carrière longue (40 ans), et qui a l'air d'avoir été omis des grands noms du cinéma français ; en se penchant sur sa...

le 1 févr. 2017

9 j'aime

Du même critique

Total recall
Boubakar
7

Arnold Strong.

Longtemps attendues, les mémoires de Arnold Schwarzenegger laissent au bout du compte un sentiment mitigé. Sa vie nous est narrée, de son enfance dans un village modeste en Autriche, en passant par...

le 11 nov. 2012

44 j'aime

3

Massacre à la tronçonneuse
Boubakar
3

On tronçonne tout...

(Près de) cinquante ans après les évènements du premier Massacre à la tronçonneuse, des jeunes influenceurs reviennent dans la petite ville du Texas qui est désormais considérée comme fantôme afin de...

le 18 févr. 2022

42 j'aime

Dragon Ball Z : Battle of Gods
Boubakar
3

God save Goku.

Ce nouveau film est situé après la victoire contre Majin Buu, et peu avant la naissance de Pan (la précision a son importance), et met en scène le dieu de la destruction, Bils (proche de bière, en...

le 15 sept. 2013

42 j'aime

9