Passons sur le titre français complètement nouille ("Les Noces rebelles") et concentrons-nous sur cette partie de la "Revolutionary Road" où vivent les protagonistes, un peu mieux fréquentée, comme le dit l'agente immobilière, que le début de la rue où vivent des artisans et autres. On est ici entre bureaucrates de niveau moyen, il y a des tableaux cubistes dans les maisons et des livres, mais il faut se lever tôt le matin pour aller travailler à New-York (Monsieur) et pour Madame, c'est l'ennui. Ce qui est évidemment frustrant quand on a toujours considéré qu'on était "à part", un couple "spécial", au-dessus de cette médiocrité pavillonnaire et banlieusarde.
Image impeccable, sens du récit, intelligence des situations et de la construction, tout a déjà été dit par celles et ceux que le film n'a pas ennuyé (par parenthèse, je comprends qu'on puisse trouver la première moitié ennuyeuse, mais c'est un ennui que je qualifierai de nécessaire afin que la tension monte), mais je voudrais surtout insister sur l'ambiguïté du message qui, à mon sens, fait l'intérêt du film. Certes, on peut considérer à bon droit que Frank est un médiocre tout heureux de se complaire dans sa vie de petit mâle. Mais qu'en est-il du rêve bovarien d'April ? N'est-ce pas tout aussi médiocre de croire qu'il suffirait de changer d'air pour changer de peau ? La grandeur du personnage, d'April, c'est sa générosité : elle ne supporte pas la banalité de son mari et voudrait l'en sauver. Frank n'a pas, loin s'en faut, ce désintéressement. Mais il est commode d'accuser les conventions sociales (il est vrai un peu plus pesantes en 1955 qu'aujourd'hui) quand on n'a jamais fait que les critiquer sans rien mettre en place. Aujourd'hui où chacun est supposé être l'entrepreneur de sa propre vie, tout le monde roule dans le même SUV plus ou moins démesurément cher ; les enfants sont désirés, ce qui fait qu'on attend un peu afin de les les faire - parce qu'on n'est pas sûr - tout en finissant par faire comme tout le monde parce que, quoi d'autre ? ; le travail est vu soit comme un jeu à gagner, soit comme un enfer, soit enfin comme un mal nécessaire, rarement comme un lieu de reel épanouissement ; on attend toute l'année les fameuses vacances qui forcément déçoivent un peu, si bien qu'on en vient à considérer qu'avec un.e autre conjoint.e, peut-être, ce serait plus excitant ? ; aujourd'hui, en somme, l'histoire des Wheeler nous tend un miroir cruel. Les risques pris pour échapper à l'ornière de la petite-bourgeoise compteront, certes. Encore faut-il avoir vraiment quelque chose à faire, au-delà de rêves romantiques tout aussi petit-bourgeois. Sinon, on peut devenir fou, comme le personnage de John, qui porte une parole de vérité sans incarner (loin s'en faut) un modèle, puisque les électrochocs l'ont figé dans cette posture critique sans lendemain. Un film cruel, mais tellement vrai.