Depuis qu'il a posé la caméra sur le sol US, Alfred Hitchcock tend à se démarquer de sa période anglaise et dote son cinéma de nouvelles intentions qui trouvent une forme d'aboutissement dans The Birds. On retrouve ainsi les thématiques ou obsessions qui nous sont familières depuis Rebecca, avec notamment la place prépondérante accordée à l'héroïne, le goût pour les théories psychanalytiques et surtout l'émergence de la peur dans un cadre réaliste. Cette dernière donnée, magnifiquement portée à l'écran par Psycho, légitime en quelque sorte son intérêt pour le genre horrifique : à travers la figure de l'oiseau, animal a priori anodin, il veut frapper durablement l'esprit de son spectateur en faisant de son quotidien un cauchemar éveillé.
Après avoir longuement hanté ses films (la découverte du cadavre dans Young and Innocent, la tanière de Bates dans Psycho...), l'oiseau occupe cette fois-ci le devant de la scène et porte le malheur dans un petit village côtier apparemment sans histoire. À ceux qui voudraient connaître la raison de ces étranges méfaits, Hitchcock ne leur donne aucune explication et entretient savamment un doute qu'il sait propice à toutes les peurs.
Les quelques indices, égrainés tout au long de l'histoire, sont là pour brouiller les pistes et le résultat est pour le moins convaincant. Ainsi, la fameuse approche psychanalytique se fait jour rapidement : dès la première séquence, le cinéaste introduit cette thématique en ayant recours à un symbolisme animalier à peine voilé (avec les Inséparables ou "Lovebirds"). Un stratagème un peu grossier qui lui permet néanmoins d'évoquer les frustrations de ses personnages au détour de conversations faussement innocentes.
Les piafs deviendraient en quelque sorte la représentation d'un conflit entre le Moi et le Surmoi, comme le laisserait entendre la première attaque qui a lieu lorsque l'objet du désir (Mélanie) se trouve confronté à ce village suintant le puritanisme. Autour de "l'Homme" (Mitch), on découvre ainsi toute une galerie de personnages féminins qui sont autant de névroses passées à la loupe hitchcockienne : on retrouve l'opposition blonde/brune de Vertigo, avec Mélanie (héritière des personnages de Kelly et Novak) dont les traumatismes liés à l'enfance (abandon maternel) seront explicitement représentés par les attaques des volatiles (superbe séquence de l'école, avec les visages terrifiés des enfants), et sa parfaite opposée Annie, qui est toujours hantée par la relation qu'elle a pu avoir avec Mitch. Quant à la famille de ce dernier, elle n'est guère mieux lotie avec une mère possessive et une sœur qui voit dans son frère le père qui manque à son quotidien.
La mise en place quelque peu laborieuse de l'histoire et les personnages bien trop caricaturaux empêchent le film de reproduire la performance de Psycho, où les thématiques freudiennes étaient abordées avec bien plus de finesse. Heureusement, Hitchcock limite les dégâts en jouant continuellement sur les attentes de son spectateur. Celui-ci, notamment après Psycho, a bien cerné la logique du cinéaste et guette attentivement les indices qui pourraient venir conforter l'approche psychanalytique. Une démarche on ne peut plus périlleuse car Hitchcock se fait un malin plaisir de multiplier les fausses pistes : les victimes des oiseaux, au début uniquement féminines, deviennent également masculines (avec ce fermier aux yeux crevés, rappelant avec force le thème du voyeurisme) ; la peur et l'effroi finissent par émousser les caricatures (le personnage de Mélanie gagne en profondeur, la mère et la sœur finissent par accepter l'intruse...). Mais surtout, il entretient le doute en exaltant la déraison ! La peur, sentiment irrationnel par excellence, engendre des comportements et des réflexions qui dépassent l'entendement : entre fanatisme et hystérie, entre théories apocalyptiques, mystiques ou surnaturelles, on est totalement perdus, c'est le monde dans son ensemble qui est gagné par la folie !
Cette impression de chaos, de raison qui s'effondre, est propice à une angoisse qu'Alfred Hitchcock entretient avec savoir-faire. Si les moments forts ne manquent pas, on appréciera notamment deux séquences phares qui sont de petites merveilles de tension et d'horreur graphique. La fameuse séquence de l'école tout d'abord, magistralement construite, prend son temps afin de faire émerger le danger dans un cadre ordinaire (avec le regroupement progressif des oiseaux sur une structure métallique) avant de nous livrer sa cruelle conclusion (l'attaque sur les enfants). Il y a également la scène du grenier, qui fait écho à la scène de la douche de Psycho, dans laquelle le montage et les plans serrés suggèrent avec effroi l'idée du viol. Même si certains passages ont un peu vieilli, on est toujours stupéfait par la force visuelle du film, bien aidé par des trucages habiles et une absence de musique qui rend les bruits de la nature d'autant plus angoissant.
On le comprend assez vite, avec The Birds, Hitchcock tente de pousser un peu plus loin les manettes de l'effroi. Seulement, pour y parvenir, il ne suffit pas de reprendre la structure et les caractéristiques de Psycho ! Ainsi, on retrouve cette narration dans laquelle s'imbriquent deux récits, deux tonalités différentes. Si dans le film précédent, la cavale de Marion préparait malicieusement le huis clos horrifique à venir, ici la première partie, en forme de romance, est tellement poussive qu'elle nous ennuie poliment. Et ce ne sont pas le manque de consistance des personnages et la faible prestance des acteurs (Rod Taylor surtout) qui vont venir changer la donne. Et puis, on a également le parti pris esthétique, et cette utilisation du technicolor, qui met en relief la violence (et le sang surtout) par le recours insistant à la couleur rouge. Seulement, ces effets visuels vieillissent mal et atténuent l'ambiance horrifique.
Moins abouti que son aîné, The Birds finit par marquer les esprits dans sa dernière partie, lorsque sa dimension surnaturelle prend enfin son envol.