Le cinéma iranien est décidemment riche d'une diversité que l'on peine à soupçonner tant que l'on ne s'est pas penché dessus, la faute en incombe sûrement à une publicité assez pauvre sorti des circuits cinéphiles et à nous spectateurs qui pouvons confondre qualité des productions artistiques et régimes totalitaires d'où elles émergent.


Une fois de plus nous sommes face à un film qui a du passer sous les radars de nombre de spectateurs en dépit d'un postulat de départ que n'aurait pas renié les studios majeurs du cinéma occidental, un thème même qui a été exploité à maintes reprises par la culture populaire, celui du double ou pour reprendre le terme en vogue, le doppelgänger. Emanation du folklore germanique où il est le jumeau maléfique, le double fantomatique d'un héros ou d'un personnage et dont l'apparition ou la révélation annoncent malheurs et drames.


Dans une ville de Téhéran sous un déluge de fin de monde, un couple découvre l'existence d'un autre couple qui est sa parfaite copie, en tout cas sur le plan des apparences, car en termes de caractère et de situations sociales, les deux couples existent en miroir. Le premier formé par Farzaneh et Jalal le second par Bita et Mohsen. Le scénario a la politesse de ne pas s'appesantir outre mesure sur les inévitables suspicions de tromperies et de relations adultérines pour assez vite imposer à ses personnages l'étrange réalité de l'existence de leurs clones parfaits, un autre point intelligent du scénario tient à son choix de ne jamais donner d'explications sur ce fait, ancrant ainsi le récit dans une forme de fantastique qui est souligné en continu par la photographie et l'ambiance sombre et crépusculaire qui nimbe le film tout du long. Et lorsqu'à de rares endroits l'éclaircies semble poindre pour illustrer un répit, une respiration, elle est bien vite atténuée voire supprimée par un retour quasi immédiat à cette ambiance opaque.


N'évitant pas quelques lourdeurs mais dont il se départi avec une certaine classe, le film m'apparait surtout comme une métaphore de la société iranienne, qui à travers ces quatre caractères unit dans un même instant, celui du film, les aspirations d'une société et ses démons. Farzaneh présentée comme une femme fragile, presque soumise à son état dépressif qui ne dit pas son nom, incarne cette femme perse sous la coupe d'un régime qui la considère et la traite comme une citoyenne de seconde zone. En contrepoint Bita dont la joie de vivre contraste violemment apparait comme trop libre dans sa tête pour cette société non seulement patriarcale mais sclérosée par la main mise des institutions et des rapports hiérarchiques et des notions d'honneur qui y sont rattachées. Du côté des hommes Jalal en mari attentionné, à l'écoute des autres prend lui le rôle utopique du progressisme qui changerait l'état des choses quand Mohsen dans sa raideur et son rigorisme qu'on nommerait machisme si nous étions dans un pays d'Amérique latine, illustre hélas la réalité du pays hôte.


Tout du long du film ce sont donc ces oppositions presque idéologiques qui dialoguent et construisent l'intrigue et la fin tend à démontrer que l'heure n'est pas encore à l'optimisme car des quatre personnages, le film choisit de supprimer les deux qui caractérisent l'espoir d'une nouvelle société plus libre, plus égalitaire, plus moderne.


Les deux acteurs, Taraneh ALIDOOSTI et Navid MOHAMMADZADEH qui m'avaient déjà fortement impressionné dans des films comme Leila et ses freres (2022) ou La Loi de Teheran (2021) délivrent ici une double performance remarquable, alternant chacun leurs doubles personnages et doubles caractères avec force, intensité, incarnation et substance. Force, intensité, incarnation et substance qu'on peut associer à l'Iran dont le film encore une fois se veut je pense un reflet tant du réel que des aspirations.

Créée

le 13 mai 2024

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