À la base, Méliès était un magicien et fournisseur de divertissements forains. Il est passé au-delà très rapidement lorsqu'il s'est lancé dans le cinéma. En 1902, outre son film-phare Le Voyage dans la Lune, la reconstitution 'anticipée' du Sacre d'Edouard VII, avec le soutien de Charles Urban, témoigne de l'avancement qu'il a déjà pris. En 1906 cependant, il est monté sur la pente descendante (bien qu'il s'apprête à construire un second studio), qui le conduira à la ruine et à l'abandon de sa carrière, après l'avoir achevée dans les mains de Pathé (1911-12).


Il réalise alors Les Quatre-cent farces du diable, film de 17 minutes (c'est encore colossal, les 'longs-métrages' sont des exceptions) qui est un peu son Lost Highway, ou un testament artistique précoce en forme de blockbuster personnel. Ces 400 farces mettent à jour l'ensemble des trucages et des techniques exploités jusqu'ici par le cinéaste, avec une débauche d'effets, de figurants et une dizaine de décors et scènes différentes. L'image est partiellement colorisée et la fibre burlesque mobilisée. La figure du Diable et le trope du pacte faustien, éléments récurrents chez Méliès, forgent à nouveau l'intrigue (c'est parfois Faust tout court, avec des adaptations directes : Marguerite/1897, Damnation/1898, Aux enfers/1903, Docteur/1904).


Ce film marque le point culminant du versant fantasmagorique de l’œuvre de Méliès, avec Le chaudron infernal (1903) – il y est passé aussi dans Le diable au couvent (1899). Le terme désignant à la base des spectacles où apparaissent des fantômes ou d'autres créatures surnaturelles de cet acabit (et pas un simple Satan ou une Lune malfaisante). Il en est également un dans l'onirisme grâce à la course de la voiture céleste. L'an suivant L’Éclipse du Soleil en pleine Lune ira plus loin et plus fort, en offrant dix minutes de fantaisies avec les astres. La multitude d'acteurs ne se contente pas de gesticuler avec fièvre comme dans d'autres opus fameux (de Méliès comme du muet), l'agitation est concrète et efficace.


Cependant le film garde les point négatifs récurrents quand Méliès dépasse la série de tours unique : certains temps sont démesurés (pour préparer le voyage ou pour admirer). Le rejet du réalisme, quasi-total ici contrairement au Voyage à travers l'impossible, rend cette tendance d'autant plus prégnante. La féerie continue de séduire, ou ses beaux morceaux d'interpeller si on est froid, mais les flottements de Méliès en tant que narrateur sont mis en relief. Enfin, pour créer tout ce défilé, Méliès a puisé en partie son inspiration dans des représentations du théâtre du Châtelet (peut-être le principal centre d'attention de cet auteur, piraté et pompé par les adversaires bien plus que l'inverse – même s'il s'est lancé avec un pastiche des Lumière, Une partie de cartes).


https://zogarok.wordpress.com

Créée

le 29 sept. 2016

Critique lue 405 fois

3 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 405 fois

3

D'autres avis sur Les Quatre Cents Farces du diable

Les Quatre Cents Farces du diable
ianov
9

La course aux étoiles

Les mirages de la science livreront toujours un alibi de rêve aux facéties du diable. Le mythe de Faust est ici revisité dans un court métrage de 17 minutes de haute voltige ! Notre protagoniste, un...

le 27 janv. 2017

3 j'aime

1

Les Quatre Cents Farces du diable
Zogarok
7

Critique de Les Quatre Cents Farces du diable par Zogarok

À la base, Méliès était un magicien et fournisseur de divertissements forains. Il est passé au-delà très rapidement lorsqu'il s'est lancé dans le cinéma. En 1902, outre son film-phare Le Voyage dans...

le 29 sept. 2016

3 j'aime

Les Quatre Cents Farces du diable
GuillaumeL666
8

Vendre son âme au diable...

J'aime bien la légèreté apparente avec laquelle un tel sujet est traité. Ça n'a fondamentalement rien de joyeux mais tout est joli dans ce film... La direction artistique de ce court-métrage est...

le 19 janv. 2021

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

49 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2