En 1929, les Etats-Unis vit une des pires crises de son histoire, qui va avoir des effets dévastateurs sur l’économie mondiale. Finie l’insouciance et les excès des Années Folles (contenus par la Prohibition aux Etats-Unis), place à une décennie de restrictions et de panique, où tout un pan de la société va perdre biens et repères. C’est dans ce cadre que John Ford vient adapter Les Raisins de la Colère, le roman de John Steinbeck.


Le cinéaste nous invite ici à découvrir la famille Joad, une modeste famille américaine de l’Oklahoma, qui vit dans la campagne et qui souffre alors d’une grave période de sécheresse et de tempêtes de poussière, qui l’affaiblit, mais qui se conjugue surtout avec la terrible crise économique initiée par le krach de 1929. Comme beaucoup d’autres familles, ils vont être expropriés, voyant leur propriété rachetée par de riches propriétaires terriens. Ils n’ont donc d’autre choix que de prendre la route et voguer vers de nouveaux horizons, notamment la Californie, qui leur promet une vie meilleure. Débute alors une longue route à travers la misère de tout un peuple.


Ce qui impressionne d’emblée dans ce tableau de l’Amérique en crise, c’est sa noirceur, le côté très sombre de l’image, où la photographie accentue les jeux d’ombre et de lumière, appuyant l’expression des acteurs pour donner plus de vie aux personnages. Le cadre où évolue la famille Joad est hostile, il est peuplé d’homme de loi corrompus, de financiers sans scrupules, de marginaux sans le sou, ou encore de camps de nouveaux nomades chassés de leur propre propriété. Cette Amérique en crise est représentée par John Ford comme une sorte de purgatoire, où la famille Joad erre de mirage en mirage, où l’éclatement du monde est symbolisé par l’éclatement de la famille. Les anciens meurent, les jeunes tentent de survivre. Les anciennes fermes familiales sont détruites, et les banquiers rachètent les terrains. Ce qu’illustre Les Raisins de la colère, c’est l’effondrement d’un monde et d’une civilisation basé sur l’éclatement de la société et de ses piliers, comme la famille. Ce sont les séparations forcées ou consenties qui fragilisent cet ordre déjà précaire, et qui contribue à l’enlisement dans la misère et la peur.


Le film ne cesse d’opposer l’espoir de cette famille à la rudesse du quotidien de l’époque, où ces nouveaux pauvres doivent se soumettre à un mode de vie plus que rudimentaire, et à un nouvel ordre où la loi et la justice sont devenues des notions toutes relatives. Quelque part, dans son ambiance et dans les décors dans lequel il évolue, Les Raisins de la colère s’apparente presque à un film post-apocalyptique, tant le monde qui nous est décrit est plongé dans la misère et l’anarchie. Cette sensation montre toute la capacité que John Ford à capturer toute l’invraisemblance d’une telle situation, d’une gravité extraordinaire, au point qu’on peine à y croire, tout en mettant en avant des valeurs humaines primordiales et essentielles, pour rappeler que l’humanité a su s’extirper de cette catastrophe. Et s’il s’agit de montrer les effets dévastateurs de la crise de 1929, ce sont tous les excès d’un système qui sont également dénoncés, pour rappeler que si cette crise a eu lieu une fois, il ne tient qu’à la société et à ceux qui la gouvernent de ne pas revivre cette horreur.


Les Raisins de la colère ne cherche jamais à verser dans l’alarmisme ou le manichéisme. Il constate et raconte, tout en exploitant à merveille la puissance du médium cinématographique. C’est un tableau saisissant d’une époque terrible de l’histoire américaine, dont les mécaniques exposées se transposent au système capitaliste dans ce qu’il peut avoir de plus excessif et dangereux. Un film dur et débordant d’humanité. La fin d’une époque, l’errance dans une sorte de purgatoire après une catastrophe économique sans précédent, l’éclatement du monde symbolisé par l’éclatement de la famille… John Ford livre ici un métrage poignant superbement filmé, captant de très beaux moments d’humanité, magnifiés par de très grands acteurs qui transmettent énormément d'émotions, pour un grand et bouleversant moment de cinéma..


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le 26 août 2019

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