avr 2011:

"Les tontons flingueurs" fait partie de ces films qui se parlent, qui se disent, qui s'écoutent et donc que l'on peut apprendre par cœur facilement, comme une récitation de notre enfance avec ce net avantage de contenir des gros mots. Il y a un plaisir transgressif là-dedans.

Grâce à la grosse verve déchainée de Michel Audiard, les dialogues offrent un festival de bons mots, de trouvailles comiques ou/et élégants, projetant harmonieusement la finesse de son auteur, comme sa grande culture ; on y convoque aussi bien les faits de l'actualité politique d'alors que de lointains évènements historiques.

Le génie poétique et l'humour acéré de Michel Audiard sont si formidablement percutants à cette époque que la plupart des répliques sont encore de nos jours connues et archiconnues. Un exemple parmi d'autres : abonné au "Canard enchainé", qu'est-ce que je lis cette semaine? Un article sur Eric Zemmour dans lequel l'auteur transforme la réplique "les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait" en un violent "Zemmour ose tout, c'est même à ça qu'on le reconnait". Il n'a pas besoin de citer le film, ni Audiard, tout le monde voit la substitution et savoure la férocité du trait. Les tontons flingueurs sont entrés dans le langage courant. C'est à ce genre de choses qu'on reconnait un classique, un monument, non?

Français, le monument, forcément, "double" forcément.

D'une part, parce que les Français qu'on décrit tout le long du film sont une part de la France de ce temps-là, une pièce de comédies, de comportements, d'attitudes typiquement françaises (pas étonnant que la scène majeure, celle qui a marqué profondément les esprits, soit tournée dans une cuisine où les tontons pochetronnent d'allégresse) et le lien se fait d'autant plus avec le public français que la langue française d'Audiard est belle, d'une attirance comique, elle nous fait du gringue, elle drague, elle envoûte et ça marche.

D'autre part, le film peut beaucoup plus toucher les Français parce que cette langue est un joli mariage du français classique et de la baroque imagination métaphorique de l'argot.

Deux caractéristiques qui séduisent les Français, les relient à leur langue, à sa vie. On est là bien entendu dans une relation presque affective, qui a trait commun avec l'enfance, l'interdit, les gros mots, etc, sans doute mais également tout le bagage culturel que l'école nous inculque depuis le plus jeune âge.

La magie des tontons tient aussi pour une très large part à la créativité des comédiens, l'espèce d'emboitement on ne peut plus miraculeux que cette bande a su provoquer.

De tous ceux-là, j'ai envie de mettre en avant Bernard Blier qui se taille la part du lion avec un personnage comique haut en couleur, très hâbleur, une grande gueule qui se déballonne au contact de l'ennemi, dont la gouaille est la seule véritable arme dont il dispose tout le long du film. En effet, Raoul Volfoni en prend plein la tronche, cible idéale pour le poing impatient d'un Lino Ventura qui décidément n'aurait jamais dû quitter Montauban.

Ventura joue Ventura, des gros bras, des gros yeux, un gros estomac et une justesse de ton jamais démentie. Il le fait magnifiquement bien, ce large bourru.

Les tontons flingueurs paraitraient sûrement un peu fades s'ils ne comptaient en leur rang la verve et l’œil pétillants de Francis Blanche. Ce type était un bon vivant, certes peut-être trop, mais sans aucun doute il était un très grand acteur. Sa diction, son tempo parfaits, millimétrés. Son appétit de vie a peut-être biaisé sa filmographie avec un nombre impressionnant de navets et autres productions alimentaires à son actif mais que cela ne nous fasse pas oublier combien son talent était un délice à voir et écouter. Les tontons nous le rappellent à juste titre.

Enfin, dans les rôles de tout aussi moindre composition mais dont la qualité s'apprécie toujours, il ne faut pas omettre de signaler la prestation de Claude Rich. A l'époque, il était déjà un habitué des rôles de grands dégingandés, un peu extravagants, artistes, originaux, assez snobs comme ici, dont les tonalités vocales sont toujours aussi étonnantes entre le rauque, le cassé et des montées plus escarpées, dans les aigus, presque une voix de fou. Mais ne l'est-il pas, fou, justement? J'aime beaucoup ce type. Il est important.

Dans les personnages un peu moins sur l'affiche mais tout de même marquants, je placerais sur une deuxième ligne Jean Lefebvre, ici dans un des ses rôles plus effacés, où son air imbécile, son indécision, son suivisme bêlant se fondaient idéalement dans son long visage et ses traits flasques. Cet acteur a un goût de pomme, mais y a pas que de la pomme, y a de la poire aussi.

Sur cette fameuse seconde ligne je rangerais également Venantino Venantini, l'italien qu'on voit souvent dans les productions françaises et qui avec Mac Ronay forment là un couple de tueurs à principe, irrésistibles.

Enfin, il ne faudrait pas oublier Robert Dalban, une voix, une trogne, comme il s'en fait si peu dont la fausse aristocratie anglaise est aussi voyante que son blaire au milieu de la figure.

Ça nous fait une bien belle brochette de bon gars qui marinent ensemble et disent avec une merveilleuse agilité les mots d'Audiard.

Dans le tableau, la petite Sabine Sinjen semble sortie du nulle part et sa post-synchro gâche l'oreille.
Dans le même ordre d'idée, les conditions de la co-production européenne obligent Lautner à se fader un autre allemand, Horst Frank, bien rigide et guindé, mais dont le ton et le regard restent désespérément trop froids à mes yeux.

Pour finir sur la distribution, une petite mention pour Dominique Davray qu'on retrouve aussi bien chez Varda avec "Cléo de 5 à 7" ou dans des films de Louis de Funès, un parcours d'un hétéroclisme assumé.

Voici "Les tontons flingueurs" ouvrant avec le fracas des rires une superbe trilogie dont "Les barbouzes" et le coloré "Ne nous fâchons pas" forment les éléments à venir, une série qui pourrait se siroter avec quelques Suzes?
Alligator
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le 18 avr. 2013

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Alligator

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