Expressionnisme x (Intolérance + Le Septième Sceau)

Un des premiers films de Fritz Lang et le style de sa période du muet allemand est déjà clairement présent, que ce soit en germes ou plus explicitement développé. La thématique de l'affrontement entre l'ombre et la lumière est omniprésente dans cette fable sur l'amour et la mort, avec un mystère abordé de front : un jeune couple pénètre dans une auberge où se trouve un étrange voyageur qui emmènera le jeune homme dans une sorte de forteresse, située près d'un cimetière, un terrain cerné de hauts murs apparemment sans ouverture et inaccessible. Ce personnage énigmatique aux traits inquiétants, on le découvrira très vite, c'est une personnification de la mort qui réapparaîtra auprès de la fiancée éplorée pour lui lancer un défi qui pourrait vaguement rappeler celui que la mort entretient avec le personnage de Max Von Sydow dans Le Septième Sceau (mais sans partie d'échecs) : elle lui rendra son amant si elle parvient à lui sauver la vie une fois au cours de trois voyages dans trois époques différentes.


Cette histoire de voyage dans le temps (ici dans une composante fantastique plutôt légère) n'explore pas le même registre hautement expressionniste que des œuvres de Lang à venir comme M le maudit, ni n'embrasse le même souffle lyrique de l'aventure fantastique que celui de la fresque des Nibelungen. Le rapprochement qui vient un peu plus naturellement à l'esprit se situerait du côté de D.W. Griffith avec Intolerance qui utilisait la même structure faite de parallèles entre différentes époques pour raconter des histoires distinctes mais unies dans l'éclairage apporté par chaque segment sur un thème donné.


Ainsi se plonge-t-on successivement dans des mondes exotiques du passé : Bagdad, puis Venise, et enfin la Chine, à chaque fois en remontant les siècles. Chaque fois, l'amour ne parviendra pas à triompher de la mort, dans trois écrins bien différents marqués par les stéréotypes de l'époque (on retiendra essentiellement les ongles longs et tranchants comme des épées d'un monarque chinois). Lang entend mettre en scène une fresque plutôt spectaculaire avec des références aux contes des Mille et Une Nuits et aux carnavals vénitiens, ainsi que le déploiement d'une imagerie fantastique très appuyée par des effets spéciaux d'époque dignes de Méliès : tapis volants, armée miniature, cheval magique, etc.


Mais c'est la marque de la tragédie amoureuse qui dominera l'ensemble, avec un sens du fatalisme et du destin implacable qui fait écho à la sensibilité de Lang telle qu'elle se dessinera dans la suite de sa filmographie. Une magnifique séquence finale consacre la technique de surimpression typique de l'époque, à la faveur d'un romantisme macabre délicat tout en clair-obscur, et apporte une très belle conclusion au vacillement des flammes et à la progression des ténèbres qui aura structuré tout l'univers de cauchemar du film.


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Morrinson
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le 22 avr. 2021

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