Mes meilleurs copains (1989) fut un bide commercial retentissant pour Jean-Marie Poiré, d'autant plus fort qu'il s'agissait d'un film particulièrement personnel. Dès lors, la carrière du réalisateur des Hommes préfèrent les grosses va prendre une drôle de tournure. A partir de L'opération Corned Beef (1991), les scénarios et montages de ses films vont tomber dans une hystérie à faire peur, multipliant les coupes drastiques et ayant un rythme de fusée qui ne s'arrête quasiment jamais. Mais après tout, la poursuite infernale d'un Jean Reno jaloux à en péter une durite en compagnie d'un Christian Clavier infidèle et fier de l'être réunit 1,4 million de spectateurs. Peut-être que la formule marche après tout.


Poiré et Clavier se lancent alors dans Les Visiteurs, dont le réalisateur a eu l'idée en feuilletant de vieilles histoires qu'il avait écrit gamin. Didier Pain et Jacqueline Maillan sont envisagés pour jouer Godefroy de Montmirail, chevalier devant réparer sa faute en voyageant dans le temps, et sa descendante Béatrice. Mais Alain Terzian lui suggère plutôt de miser sur le trio Reno-Clavier-Valérie Lemercier issu de son précédent film. Pain jouera finalement Louis VI et Maillan décédera quelques mois avant le tournage.


Les Visiteurs est le dernier bon film de son réalisateur, même s'il s'avère moins bon que certains de ses films phares des 80's. De plus, il est comme Corned Beef et les films suivants du réalisateur symptomatique d'une folie furieuse qui peut clairement agacer, épuiser ou les deux à la fois. Sans compter la mise en scène avec des plans rapprochés en courte focale ras la gueule.


Mais curieusement, le premier Visiteurs s'en tire encore bien par rapport aux autres, car il s'avère intéressant par son scénario, ses gags et ses acteurs. On les sent tous impliqués dans le film. Clavier n'est peut-être pas sobre dans son jeu, mais il tient bien ses deux personnages, le premier étant le serviteur de Godefroy, le second sa descendance essayant de sortir d'un douloureux héritage généalogique. Jean Reno est impeccable en homme voyant son monde s'effondrer. Quant à Lemercier, son interprétation donne tout son charme à Béatrice. Sans elle, le personnage n'aurait clairement pas la même énergie, ni le même intérêt (ce qui va se confirmer par la suite...).


Quant à l'histoire, elle s'avère être un bon mélange entre comédie et fantastique. Comparé à ses suites, Les Visiteurs s'avère assez carré, ne partant pas dans toutes les directions, ni sous-intrigues foireuses et c'est ce qui fait encore sa réussite de nos jours. Le film mise sur un choc des cultures qui fonctionne du début à la fin, les deux époques étant totalement éloignées.


La fin peut être vue comme un cliffhanger à sa manière, mais on peut à la rigueur le voir comme une forme d'ironie. Après tout, l'arc même de Godefroy est fini et Jacquart subit une belle filouterie. Mais pas de quoi en faire une suite. C'est toute la différence avec ses deux sequels qui ont clairement joué sur le cliffhanger dans l'éventualité de faire des suites, ce qui ne les a pas aidé ni en 1998, ni en 2016. Dans le premier cas car la carrière de Poiré a longtemps été verrouillée par des flops commerciaux, entraînant une longue absence des plateaux. Dans le second car la dernière suite était un pari risqué et il aurait mieux valu miser sur le mot "fin", plutôt que de surenchérir.


Autre chose intéressante avec Les Visiteurs : sa crudité. Pour une comédie-fantastique grand public, le film s'aventure pas mal sur des terrains gore avec des têtes tranchées et bien évidemment l'accident même. Ce qui détonne dans la comédie de l'époque, qui plus est dans une production Gaumont à environ 9 millions d'euros.


Les Visiteurs sera un curieux succès, démarrant lentement ses recettes avant de cumuler une série de plus de 600 000 entrées sur cinq semaines, attirant au final plus de 13 millions de spectateurs. Le film devient ainsi le deuxième plus gros succès français derrière La grande vadrouille (Gérard Oury, 1966), avant d'être rattrapé par Mission Cléopâtre (Alain Chabat, 2002), Intouchables (Toledano, Nakache, 2011) et Bienvenue chez les ch'tis (Dany Boon, 2008).


Valérie Lemercier obtient même le César du meilleur second-rôle féminin. Mais lorsqu'une suite est envisagée, l'actrice ne veut pas rempiler. Il faut dire que derrière les bonnes critiques et la récompense, tout ne s'est pas si bien passé sur le tournage du film. Poiré et Lemercier ne partageait pas le même point de vue sur le personnage (il la voulait exubérante, elle était plus sur la retenue), ce qui ne plaisait pas non plus à Clavier. Sans compter une certaine mise à l'écart qui était déjà source de problèmes sur le tournage de Mes meilleurs copains avec Poiré et ses potes ; et les autres. Si les conditions de tournage changeront en cours de route, Lemercier n'en reste pas moins touchée et s'avéra également peu convaincue par le scénario des Couloirs du temps.


Elle est alors remplacée par Muriel Robin qui se voit contrainte de jouer comme Lemercier, ce qui ne fonctionne jamais. Tout comme le film qui, malgré quelques bons passages, passe totalement à côté d'un sujet qui était maîtrisé en 1993. Malgré les 8 millions d'entrées, Poiré préfère se lancer dans un remake inutile tourné aux USA plutôt qu'une deuxième suite. Un bide colossal (16 millions de dollars de recettes totales pour 53 millions de budget), au point de mettre les comptes de Gaumont dans le rouge et de signer l'arrêt provisoire de la collaboration entre le réalisateur et le studio. Un remake de piètre qualité que le réalisateur renie en changeant son nom au générique. Quant à Clavier, il chargeait il y a quelques années John Hughes de l'échec du film, oubliant qu'il était quand même scénariste de la chose et pas seulement parce qu'il a écrit les films français.


Après des années de rumeurs, Les Visiteurs revenaient pour une suite au film de 1998 d'un rare ennui, avec deux acteurs principaux trop vieux pour ces conneries (et ce malgré une pirouette scénaristique) et que Poiré a bien du mal à intégrer dans l'intrigue révolutionnaire. Sans compter la multitude de nuits américaines visibles à l'œil nu, une réalisation globalement sans ampleur, des comédiens jamais convaincants et un montage toujours à l'arrache. Attendu durant un temps par le public, ce dernier ne sera pas vraiment au rendez-vous avec 2 millions d'entrées. Comme quoi, il aurait peut-être mieux valu écouter Valérie Lemercier.

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le 30 mai 2021

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